Le Hashtag, élément incontournable des réseaux sociaux : approche juridique

 

blog-970723_640Un hashtag est un mot ou une expression (« tag » en anglais), précédé d’un symbole similaire au dièse (« hash »), servant à classer thématiquement du contenu sur les réseaux sociaux.

Dans un avis publié au Journal Officiel du 23 janvier 2013, la Commission générale de terminologie et de néologie définissait le « hashtag », ou « mot-dièse » en français, comme une « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe # (dièse), qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage ».

La première utilisation du hashtag remonte au mois d’août 2007 sur Twitter. Techniquement, les hashtags permettent de contextualiser une publication, et de regrouper en un clic les contenus comportant les mêmes mots clés. Il est dès lors apparu comme un véritable vecteur de communication et un réel actif immatériel pour les entreprises, au même titre que le nom de domaine. Face à l’utilisation massive de l’hashtag, il est nécessaire que des limites à son utilisation soient fixées, et il parait légitime de se poser la question de son statut juridique.

Le hashtag face aux libertés fondamentales

Au regard du droit français, aucune disposition ne concerne expressément le hashtag. Cependant, s’il est illicite, comme « #UnBonJuif », « #AntiNoir » ou plus récemment « #JeSuisKouachi », il tombe à la fois sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui réprime les délits de diffamation raciale, ainsi que sous la récente loi du 13 novembre 2014 visant à lutter contre le terrorisme.

Ce genre de débordement est malheureusement courant dans la mesure où les réseaux sociaux ne vérifient les messages publiés par les internautes qu’a posteriori et souvent, uniquement s’ils font l’objet d’un signalement spécifique. On peut donc supposer que le régime de responsabilité dérogatoire selon lequel l’hébergeur de la publication ne verra pas sa responsabilité engagée s’il n’a pas eu connaissance du message avant sa mise en ligne (article 6 I. 2 de la loi LCEN du 21 juin 2004) est applicable aux réseaux sociaux et qu’ils ne peuvent être inquiétés en cas de hashtag litigieux. Ainsi, il ne fait aucun doute sur le fait qu’un utilisateur qui commettrait par le biais d’un hashtag un délit ou une faute prévus par la loi pourrait être poursuivi et condamné, seul ou avec le réseau social, par la justice française.

Cependant, dans la plupart des cas, les hashtags litigieux émanent ou sont repris par des personnes agissant sous pseudonyme, ce qui complique leur identification. On peut prendre l’exemple du hashtag « #UnBonJuif », pour lequel Twitter avait été mis en demeure par des associations d’agir promptement afin de les supprimer et de révéler l’identité des auteurs des propos litigieux. Les associations, après s’être heurtées au caractère international du réseau social qui remettait en cause l’autorité de la chose jugée de la décision, ont finalement réussi à obtenir de Twitter, en juillet 2013, par le biais d’un accord amiable, les données d’identification des auteurs des tweets litigieux.

A ce titre, le hashtag comme outil d’expression et de communication tombe sous le coup de diverses dispositions pénales et civiles relatives à la protection de ces libertés fondamentales. Tout abus est dès lors juridiquement réprimé. Jusque-là, seul le réseau social Twitter a fait l’objet de rares condamnations du fait de hashtags abusifs en France, malgré le nombre de requêtes visant la suppression de tweets émises. La France représente à elle seule 87% des requêtes au niveau mondial.

Considérer qu’un hashtag peut bénéficier d’une protection juridique au titre des droits de propriété intellectuelle présente un grand intérêt pour les entreprises qui pourraient se prévaloir de dispositions civiles et pénales pour protéger leur marque et leur image sur les réseaux sociaux. Or, aucun texte de loi n’a pour le moment fixé de cadre juridique à ce symbole, ni de sanctions en cas de pratique abusive.

Le hashtag est-il une œuvre de l’esprit et peut-il à ce titre être protégé par le droit d’auteur ?

L’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une protection pour « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». L’article suivant dresse une liste non-exhaustive d’œuvres pouvant être considérées comme des œuvres de l’esprit. Cette liste permet donc à toute nouvelle création d’être considérée comme une œuvre de l’esprit à condition qu’elle remplisse les conditions du droit d’auteur que sont l’originalité (l’empreinte de la personnalité de l’auteur) et la mise en forme matérielle de l’œuvre. Il semblerait que la jurisprudence relative à la protection du titre en droit d’auteur puisse être transposée au hashtag. Toutefois, l’appréciation de l’originalité reste subjective et la jurisprudence aléatoire.

Le caractère tangent de la notion d’originalité contribue à rendre incertain la protection d’un titre par le droit d’auteur. Un hashtag composé d’un seul mot pourra difficilement se voir protéger par le droit d’auteur sauf s’il est particulièrement original.

De plus, il faut dissocier le signe du hashtag du mot ou des mots qui le suivent. Le signe du hashtag ne semble pas en lui-même apporter d’originalité tellement il s’est banalisé depuis sa première utilisation en 2007. Ainsi, ce n’est pas parce qu’il est ajouté à un mot ou à un ensemble de mot que le tout sera nécessairement original.

Le hashtag est-il finalement un signe distinctif ou un signe susceptible de protection à titre de marque ?

Tout comme pour les noms de domaine ou les « username », la nature juridique du hashtag n’est pas fixée. En effet, ce symbole se choisit et s’utilise gratuitement et librement sur les réseaux sociaux. Afin de prévenir toute utilisation abusive de leur marque, les titulaires de marques sont de plus en plus nombreux à demander à enregistrer leur marque ou slogan accompagné d’un « # ». La loi est silencieuse à ce sujet et la jurisprudence est inconstante. S’il a été admis à quelques reprises qu’un hashtag peut faire l’objet d’une protection par le droit des marques, ce n’est pas automatique et ce n’est qu’à la condition de satisfaire aux critères de validité d’une marque : être disponible, posséder un caractère distinctif et être licite.

En 2015, on comptait 1398 demandes d’enregistrement de marque comportant un hashtag à l’échelle mondiale, dont 159 en France. Les entreprises déposent notamment des hashtags à titre de marque lorsqu’elles élaborent une campagne publicitaire ou marketing et qu’elles souhaitent bénéficier d’une protection juridique. Aux Etats-Unis, l’opérateur T-Mobile USA a déposé en janvier 2015 la marque « #7NIGHTSTAND CHALLENGE ». Au niveau communautaire, on soulignera la demande d’enregistrement de la marque « #LOVE » par Sony Pictures. En France, c’est la marque « #CLIENT ADDICT » qui a été déposée par Futur Telecom le 6 juin 2014 et dont l’enregistrement a été accepté par l’Institut National de la Propriété Industrielle.

En déposant sa marque, une entreprise protège cette dernière contre toute reproduction ou imitation illicite et dispose ainsi de moyens légaux pour lutter contre des concurrents qui pourraient, en utilisant un hashtag identique pour leur propre marque, dégager des gains commerciaux et ainsi avoir recours à des pratiques de parasitisme économique.

Aux Etats-Unis, dans un arrêt Faternity Collection, LLC v Fargnoli du 31 mars 2015, un designer, après avoir rompu les relations commerciales avec son fabriquant, a utilisé des hashtags reprenant la marque du fabriquant (« #fratcollection » et « #fraternitycollection ») sur Instagram pour vendre ses propres créations. La Southern District of Mississippi a alors estimé que l’utilisation du nom d’un concurrent ou de l’un de ses produits sur les réseaux sociaux sous forme de hashtag peut dans certaines circonstances conduire à tromper les consommateurs.

Par ailleurs, les entreprises ont la possibilité sur Twitter d’acheter des « tweets sponsorisés », leur permettant d’acquérir une meilleure visibilité sur le réseau social. Ces tweets seront en effet mis en avant et seront obligatoirement vus par les internautes qui utilisent le hashtag en question. Un parallèle peut être établi entre les hashtags contenus dans ces tweets et les Google AdWords. La jurisprudence de la CJUE a tendance à considérer que l’usage d’une marque en tant qu’AdWords peut constituer un acte de contrefaçon si cet usage porte atteinte aux fonctions de la marque, c’est-à-dire à l’image particulière que l’entreprise veut avoir dans l’esprit des consommateurs.

Le hashtag « #Rio2016 », largement répandu sur internet pendant les Jeux Olympiques d’été de 2016, a notamment fait l’objet de conflits en Europe. En effet, le Comité Olympique allemand a interdit l’utilisation de ce hashtag aux entreprises sponsor non olympiques, en évoquant un recours à la contrefaçon et une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. Cependant, si l’on se réfère à la jurisprudence de la CJUE, l’utilisation de ce hashtag peut uniquement être interdit s’il porte atteinte aux fonctions de la marque. En voulant simplement supporter son pays dans le cadre de la compétition, et si aucun lien commercial n’est établi entre les Jeux Olympiques et la société (autrement dit si le hashtag n’est pas utilisé en relation avec les biens et services de la société), alors cette dernière est en droit d’utiliser ce hashtag. Aux Etats-Unis également le hashtag « #Rio2016 » a fait parler de lui, dans la mesure où le Comité Olympique a procédé aux mêmes interdictions d’utilisations pour les entreprises non-olympiques. Certaines sociétés se sont toutefois défendues en attaquant le Comité sur le motif d’une prohibition trop sévère sur les réseaux sociaux, rappelant ainsi la ligne de conduite de la CJUE.

Enfin, si certaines entreprises sont parvenues à protéger des marques comportant le symbole du hashtag, une décision de la Cour d’appel de Paris a néanmoins affirmé son caractère secondaire. L’INPI considère aussi, du fait de son usage courant, que le symbole « # » est secondaire (CA, Paris, 5 décembre 2014, n° 14/14773). L’appréciation d’une marque comportant un hashtag se fait donc sans ce symbole, mais bien comme une marque classique.

A cet égard, les Etats-Unis ne partagent pas cette position puisque la marque « # » a bien été enregistrée le 25 novembre 2014 à l’USPTO. L’USPTO a précisé qu’une marque qui est composée en tout ou partie du caractère « # » ou du « hashtag » peut être enregistrée à titre de marque si elle indique l’origine des produits ou des services du déposant, à condition de satisfaire aux critères classiques de validité d’une marque. Néanmoins, la Central District Court de Californie s’est opposée à cette vision à l’occasion d’une l’affaire Eksouzian contre Albanese, le 7 août 2015. Le litige concernait deux concurrents entre lesquels existait un accord leur interdisant d’utiliser l’association de certains mots en tant que marque pour promouvoir des produits. Le juge a estimé que le hashtag était descriptif, et qu’à ce titre il ne pouvait être considéré comme une marque. L’enregistrement d’une marque accompagnée d’un hashtag n’est donc pas automatique.

Ainsi, si jusqu’alors les dépôts de marque pouvaient résulter d’une activité préventive de la part de leur titulaire afin d’empêcher qu’un tiers de mauvaise foi ne dépose un hashtag contrevenant à la marque, l’appréciation de la validité d’une marque comportant un hashtag se fait désormais exclusivement sur le mot ou l’expression suivant le « # ». La meilleure manière de protéger un hashtag dépendra donc de ses caractéristiques intrinsèques. Que ce soit par le droit d’auteur ou par le droit des marques, les mécanismes ne sont toutefois pas absolus et la jurisprudence reste fluctuante.

Finalement, après l’« @ » et le « .com », quel avenir pour le « # » ?