La copropriété d’un brevet ou d’une marque est fréquente en cas de collaboration entre inventeurs, partenaires industriels ou associés d’une start-up. Cette configuration juridique demeure particulièrement délicate, en particulier lorsque l’un des titulaires procède à la cession de sa quote-part sans notification préalable à l’autre copropriétaire.
La jurisprudence récente rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 7 février 2025 éclaire les obligations qui pèsent sur les copropriétaires en matière de cession de droits, en rappelant l’importance du formalisme et du respect des règles de notification. Cet article en expose les implications pratiques et stratégiques pour les titulaires de droits.
Sommaire
Cadre juridique de la copropriété en propriété intellectuelle
La copropriété de brevet : règles de cession strictes
L’article L. 613-29 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose qu’un copropriétaire de brevet peut céder sa quote-part à tout moment. Toutefois, les autres copropriétaires disposent d’un droit de préemption de trois mois, qui ne peut être exercé qu’à condition d’avoir été préalablement notifiés par acte extrajudiciaire.
Cette obligation, reprise à l’article 815-14 du Code civil, impose de transmettre les informations essentielles : prix, conditions de cession, et identité de l’acquéreur.
La copropriété de marque : un régime moins explicite mais contraignant
Bien que la copropriété de marque soit moins formellement encadrée, elle est reconnue par l’article L. 712-1 CPI. En l’absence d’accord entre copropriétaires, la cession d’une part sans notification ou accord préalable est considérée comme fautive, surtout si elle prive l’autre copropriétaire de ses droits patrimoniaux ou d’une chance d’en tirer revenu.
L’affaire « Ares Trailer » (TJ Paris, 7 février 2025)
Contexte et faits principaux
Dans l’affaire jugée le 7 février 2025 (TJ Paris, RG n° 21/07225), deux inventeurs étaient copropriétaires d’un brevet, d’un modèle et d’une marque (« Ares Trailer »). L’un d’eux a cédé l’ensemble des droits à une société tierce, sans notifier son co-titulaire. En outre, les actes de cession en cause étaient affectés d’une irrégularité substantielle, en l’occurrence une falsification de signature.
Enseignements tirés de la décision
Le tribunal a annulé les cessions pour défaut de consentement et rappelé que même une cession de quote-part licite ne pouvait intervenir sans notification préalable. Toutefois, la société cessionnaire a été protégée en raison de sa bonne foi, sur le fondement de la théorie de l’apparence. En revanche, le cédant fautif a été condamné à verser 17 500 € de dommages-intérêts à son co-inventeur pour préjudice moral et économique.
Les risques d’une cession unilatérale sans notification
Le non-respect des obligations de notification dans le cadre d’une copropriété de brevet ou de marque peut entraîner :
- L’annulation de la cession (en cas de défaut de consentement ou de faux)
- Une action en responsabilité du copropriétaire lésé
- Une perte de revenus ou d’opportunités économiques
- Des litiges longs, coûteux et publics
Bien que l’acquéreur puisse bénéficier d’une protection en raison de sa bonne foi, le cédant n’en demeure pas moins juridiquement responsable.
Bonnes pratiques pour gérer la copropriété de droits IP
Nous recommandons aux copropriétaires d’adopter les mesures suivantes :
- Notifier formellement tout projet de cession ou de licence à l’autre copropriétaire
- Rédiger une convention de copropriété définissant les règles de gestion, d’exploitation et de cession
- Vérifier la continuité des transmissions de droits en cas d’acquisition d’un titre détenu en copropriété
- Solliciter un accompagnement juridique dès qu’un changement de situation est envisagé
Conclusion
La copropriété d’un brevet ou d’une marque exige une vigilance constante. En l’absence de notification ou d’accord entre co-titulaires, la cession d’une part, même partielle, peut entraîner la nullité de l’opération et des condamnations pour le cédant. L’affaire « Ares Trailer » rappelle avec force l’importance d’une gestion rigoureuse, transparente et anticipée des droits de propriété intellectuelle partagés.
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FAQ
1. Qu’est-ce qu’une quote-part dans un brevet ou une marque ?
La quote-part correspond à la part de propriété que détient un titulaire sur un droit de propriété intellectuelle lorsqu’il est partagé avec d’autres personnes. Chaque copropriétaire possède un pourcentage du droit (par exemple 50 %), qui lui confère certains droits et obligations, notamment en matière d’exploitation ou de cession.
2. Peut-on céder sa quote-part d’un brevet sans l’accord de l’autre copropriétaire ?
Non. Il faut notifier formellement l’autre copropriétaire, qui dispose d’un droit de préemption.
3. Que risque-t-on en cas de cession sans notification ?
L’annulation de la cession, la condamnation à des dommages-intérêts et un contentieux coûteux.