La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 14 janvier 2010 , s’est prononcée, une fois de plus, sur le statut d’hébergeur et sur le régime de responsabilité qui lui est applicable.
Le litige opposait le fournisseur d’accès à Internet Tiscali (aujourd’hui devenu Télécom média) aux Editions Dargaud Lombard et Lucky Comics, chacune titulaire de droits d’auteur sur des bandes dessinées.
Les sociétés éditrices reprochaient à Tiscali des actes de contrefaçon. En janvier 2002, les bandes dessinées sur lesquelles elles détenaient des droits, étaient en effet intégralement reproduites sans leur autorisation sous forme numérique sur la page chez.com gérée par Tiscali.
En l’espèce, Tiscali soutenait être un hébergeur au sens de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) et ainsi ne pas être tenu responsable pénalement et civilement du fait du contenu de ses services dans la mesure où il a agit promptement pour empêcher l’accès à ce contenu.
Cependant, la Cour de cassation adopte un raisonnement identique à celui de la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 7 juin 2006 en reconnaissant Tiscali comme un éditeur et non comme un hébergeur.
En effet, dans la mesure où les services fournis par le fournisseur d’accès à Internet Tiscali excèdent les simples fonctions techniques de stockage et que celui-ci exploite commercialement son site en proposant aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants directement sur les pages personnelles, celui-ci doit être regardé comme un éditeur.
Par conséquent, la Cour de cassation estime que Tiscali ne peut bénéficier de l’immunité pénale et civile prévue par la LCEN pour les hébergeurs. Le fournisseur doit donc assumer la responsabilité des contenus qui ont été mis à la disposition du public et se trouve ainsi condamné pour contrefaçon au sens de l’article L122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle.
La Cour de cassation utilise ainsi le critère économique de l’exploitation commerciale pour retenir la qualification d’éditeur. Cette décision opère un revirement avec la jurisprudence jusque là constante qui considérait que le critère économique n’était pas pertinent et que la commercialisation d’espaces publicitaires ne permettait pas de retenir la qualification d’éditeur dès lors que rien dans le texte de la LCEN n’interdit à un hébergeur de tirer profit de son propre site .
Toutefois, le Tribunal de grande instance de Paris dans un jugement en date du 28 mars 2008 avait déjà refusé la qualité d’hébergeur au motif que la société SEDO se chargeait d’insérer des liens publicitaires et qu’en conséquence elle exerçait une activité commerciale.
L’arrêt Tiscali a donc ouvert le débat sur la pertinence du critère économique pour l’exclusion du bénéfice de l’exonération de la responsabilité des hébergeurs tel que prévu par la LCEN.
1. Cass. 1ère Civ. 14 janvier 2010 S. A. Dargaud Lombard et société Lucky Comics c/ S. A. Tiscali Media
2. CA Paris, 4e ch. Section A, 7 juin 2006 Tiscali Media / Dargaud Lombard, Lucky Comics
3. Paris 15 avril 2008 Omar et Fred et autres c. Dailymotion
4. TGI Paris 28 mars 2008 Bayard Presse c. SEDO