Les archives du net (archive.org), un moyen de preuve recevable ?

L’Internet étant un monde particulièrement mouvant, il arrive qu’un constat n’ait pas pu être établi au moment de l’infraction ou alors qu’il ne puisse pas donner pleinement la mesure de cette dernière. La preuve de l’infraction étant libre, les plaignants peuvent néanmoins fournir au dossier des éléments autres que des constats, à charge pour les juges d’en déterminer la valeur. Le recours à des sites d’archivage de l’Internet permet parfois de retrouver l’utilisation qui a été faite d’un site à une date donnée, même si celui-ci a par la suite été modifié ou supprimé.

Le plus connu de ces systèmes d’archivage est la « Wayback Machine » < www.archive.org >, géré par l’Internet Archive, une association à but non lucratif basée en Californie. Cette base de données est constituée par un robot de capture entièrement automatisé qui prend régulièrement des clichés d’une grande partie des sites Internet existants. Elle dispose aujourd’hui de plus de 150 milliards de pages différentes.

Dans un arrêt du 2 juillet 2010, la Cour d’Appel de Paris[1] a invalidé un constat portant sur un site extrait d’archive.org au motif que ce service était « exploité par un tiers à la procédure, qui est une personne privée sans autorité légale, dont les conditions de fonctionnement sont ignorées ». Elle a également considéré que cet outil de recherche n’était pas conçu pour une utilisation légale et que par conséquent, l’absence de toute interférence dans le cheminement donnant l’accès aux pages incriminées n’était pas garantie. Dans le passé, les juges américains ont eux aussi refusé de reconnaître un caractère probant aux informations tirées du site archive.org (après l’avoir admis en première instance)[2].

En revanche, il est frappant de constater que les juridictions supranationales spécialisées en droit de la propriété intellectuelle reconnaissent unanimement leur validité. Par exemple, plusieurs décisions[3] UDRP des experts du Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) considèrent que l’emploi du fichier « robot.txt » est un indice de la mauvaise foi du défendeur. En effet, l’ajout de ce fichier texte à la racine d’un site est généralement effectué pour indiquer aux systèmes de référencement que l’on ne souhaite pas que le site soit référencé. En ce qui concerne archive.org, ce fichier permet non seulement d’empêcher l’indexation future du site mais aussi d’empêcher l’accès aux versions stockées du site. Une requête visant à accéder à des pages bloquées subséquemment laisse apparaître un message d’erreur mentionnant l’emploi de « robot.txt ».  Les experts de l’OMPI se servent également d’archive.org pour déterminer quel a été l’emploi du site litigieux par le passé ainsi que pour évaluer la durée de l’atteinte.

En matière de brevets, l’Office Européen des Brevets (OEB) admet la validité des documents conservés par archive.org à titre d’antériorités, à condition qu’ils soient accompagnés d’une déclaration d’authenticité de la part de l’archiviste ou de l’administrateur du site archivé[4].

Cette différence d’opinion peut s’expliquer en grande partie par la nécessité de posséder une connaissance technique pointue afin de mesurer pleinement la fiabilité des informations tirées des sites d’archivage. Par exemple, une page web ne peut pas être traitée de la même façon qu’un document matériel. Elle contient généralement de multiples éléments (images, vidéos, sons…), qui ne sont pas forcément archivés simultanément. A défaut de posséder un élément archivé à la même date que la page demandée, archive.org affiche l’élément archivé à la date la plus proche. De plus, l’archivage d’un site donné peut omettre certaines périodes.

De fait, ne serait-il pas préférable que les juridictions nationales acceptent la validité de principe des informations tirées d’archive.org, à charge pour le défendeur d’en apporter la preuve adverse, comme dans tout litige ?


[1] CA Paris, 2ème Ch., 2 juillet 2010, « Saval, Établissements Laval c/ Home Shopping Service (HSS) »

[2] « Novak v. Tucows », No. 04-CV-1909, 2007 U.S. Dist. Lexis 21269 (E.D.N.Y. March 26, 2007) ;  « Telewizja Polska USA, Inc. v. Echostar Satellite », Memorandum Opinion and Order, Case No. 02C3293 (N.D. III. Oct. 14,2004)

[3] http://www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/html/2008/d2008-1768.html : « Panels frequently reference the Wayback Machine in order to determine how a domain name has been used in the past ».

http://www.wipo.int/amc/en/domains/search/text.jsp?case=D2011-0421

[4] http://www.epo.org/law-practice/case-law-appeals/recent/t061134eu1.html

 

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