La nouvelle loi sur la rémunération de la copie privée : une étape transitoire précédant une réforme de fond

Les linéaments du droit de reproduction appartenant aux créateurs ont fait l’objet de querelles byzantines doctrinales. Quand certains parlent de limites, d’autres parlent d’exceptions. Au-delà des débats terminologiques, en droit français, la copie privée fait figure d’exception puisque selon la lettre de l’article L122-5 il est possible de reproduire le support qui est acquis à des fins privées. Pensée comme un modus vivendi entre le droit légitime à l’accès à la culture et l’indemnisation des créateurs, la rémunération pour copie privée était pourtant devenue surannée comme l’illustrent les jurisprudences tant nationales[1] qu’européennes[2] rendues au fil du temps. Ainsi, nombreux étaient ceux qui appelaient de leur vœux un aggiornamento afin de réformer le système indemnitaire dessiné par la loi Lang du 3 juillet 1985[3]. La loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 a été finalement adoptée par le Sénat le 19 décembre dernier et a suscité l’intérêt des acteurs en présence, en atteste la présentation du projet de loi par le Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand.

La rémunération pour copie privée est : « un prélèvement de nature fiscale[4]» dont 25% sont alloués à la promotion de la création dans l’hexagone. En 2010, le montant de ces sommes représentait 189 millions d’euros hors taxe. L’ère du numérique a marqué l’avènement d’une multiplication du nombre de supports susceptibles de donner lieu à une rémunération pour copie privée. Clés USB, disque dur, DVD, cartes mémoire en tout genre ne sont qu’un inventaire à la Prévert des supports touchés par cette dernière. La réalisation d’une loi en matière de copie privée nécessite de concilier les intérêts des acteurs en présence, à savoir du triptyque industriels, créateurs et public.

La loi, dont tous les amendements ont été rejetés, innove sur de nombreux points :

1. Licéité de la source (Article 1)-Le prélèvement ne peut dorénavant s’effectuer qu’à condition que le support soit licite, ce principe étant influencé par la décision du 11 juillet 2008 Simavalec rendue par le Conseil d’Etat. La logique de cette exigence peut se comprendre au vu du leitmotiv que constitue la lutte contre le téléchargement illégal.

2. Enquêtes d’usages (Article 2). La Commission Copie Privée, créée au lendemain de la Loi Lang et dont la formation a fait l’objet de vives critiques, est chargée de fixer les taux de la rémunération pour copie privée ainsi que de déterminer les supports touchés. Pour ce faire, elle devra dorénavant réaliser en amont des enquêtes d’opinion, ce qui était déjà le cas dans la majeure partie des situations.

3. Exonération pour les professionnels-La loi introduit une exonération de la rémunération pour copie privée pour les professionnels. Cette exonération s’imposait selon le sénateur Lionel Tardy au vu de la décision Canal+ Distribution et a., du 17 juin 2011 rendue par le Conseil d’Etat.

4. L’information du consommateur (Article 3)-In fine, c’est le consommateur qui paye le prélèvement que constitue la rémunération pour copie privée, fait qu’il ignore souvent. C’est la raison pour laquelle l’information du consommateur fut une des préoccupations du législateur. L’association UFC Que Choisir a d’ailleurs conçu un site Internet (www.chere-copie-privee.org) dédié à l’examen des supports touchés par la redevance et son taux. Enfin, la finalité de la rémunération pour copie privée devrait être explicitée aux consommateurs sur les emballages des supports.

Si l’ancienne rédaction de l’article L311-1 du CPI apparaissait surannée au vu des progrès incrémentaux de l’ère du numérique, la loi nouvelle n’a pas encore prévu de barème de rémunération forfaitaire pour les tablettes, marché pourtant en pleine expansion. Ce vide juridique devrait néanmoins n’être que temporaire, c’est tout au moins ce qu’a affirmé  Raphaël Hadas-Lebel président de la Commission Copie Privée. Le député Lionel Tardy craint que cette loi fasse l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité dans un futur proche. Rappelons que ce projet de loi a pour unique vocation d’être transitoire comme l’a annoncé le Ministre de la Culture. Une réforme d’envergure devrait intervenir dans les prochaines années afin de prendre en compte notamment le cloud computing. Reste à savoir si cette disposition législative n’est pas un projet mort-né. Il demeure qu’elle n’entraîne aucun changement quant à la composition de la Commission Copie Privée dont le fonctionnement avait pourtant été critiqué tant par les associations de consommateurs que par la communauté juridique, la Commission s’évertuant à augmenter les ponctions pour contrebalancer les effets négatifs du téléchargement illégal, logique bien éloignée de la création du mécanisme de copie privée.

 


[1] Décisions du Conseil d’État SIMAVELEC du 11 juillet 2008 et Canal + Distribution et autres du 17 juin 2011.

[2] CJUE C-467/08 Padawan, du 31 octobre 2008.

[3] Cf travaux du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique initiés en juillet 2001 qui  mentionnaient des pistes à suivre pour réformer le prélèvement.

[4] SIMALEC 26 mai 2008,Conseil d’Etat.