Paquet Marques – Suppression de l’exigence de représentation graphique

Suite à notre précédente analyse des modifications générées par le projet de transposition en droit français du « Paquet Marques », nous analysons plus particulièrement la suppression de l’exigence de la représentation graphique de la marque.

En effet, l’entrée en vigueur de la Directive du 16 décembre 2015 (2015/2436 UE) signifie la disparition au niveau européen du critère de représentation graphique, jusqu’alors essentiel à l’enregistrement d’une marque. Il suffit désormais que le signe soit distinctif et qu’il soit représenté « dans le registre d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à [son] titulaire. » (Article 3). Cette modification est prise en compte par les projets d’ordonnances « Paquet Marques » avec un nouvel article L. 711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui ouvrirait la possibilité de l’enregistrement de marques olfactives ou gustatives.

 

La représentation graphique, frein à la reconnaissance des marques olfactives et gustatives

 

L’exigence de représentation graphique n’a pas empêché la protection de marques tridimensionnelles ou sonores, mais elle s’est révélée être un obstacle insurmontable à l’enregistrement de  marques olfactives ou gustatives.

 

Pourtant, les offices d’enregistrement n’étaient pas réfractaires à une telle protection, comme en témoigne un dépôt réussi pour une odeur d’herbe (OHMI, 11 Février 1999, R. 156/1998-2), ou pour une odeur de bière (Unicorn Products, GB 2000234). Si les demandes n’étaient pas toujours couronnées de succès, la possibilité d’une protection avait au moins le mérite d’exister. La Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) avait cependant mis un terme à cette évolution par son arrêt Sieckman (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C- 273/00), en affirmant que « s’agissant d’un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments. ». Satisfaire l’exigence de représentation graphique nécessitait donc la présence « de figures, de lignes ou de caractères », ce qui était possible pour les marques sonores (graphiques) et tridimensionnelles (figures), mais impossible pour les marques olfactives et gustatives.

 

Une suppression pour contrer la jurisprudence européenne

 

En supprimant cette exigence, le nouvel article L. 711-1 opèrerait un changement bienvenu. Les dessins et modèles, les brevets, et le droit d’auteur, étaient insuffisants pour assurer la protection de ces signes olfactifs et gustatifs. Intenter une action en contrefaçon n’était donc pas possible, et seule demeurait l’action en concurrence déloyale. Celle-ci était pourtant trop contraignante.

Désormais, l’article L. 711-1 exigera que le signe soit représenté « de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection. ». L’objet de la protection, c’est à dire le signe pour lequel on sollicite un enregistrement en tant que marque, doit donc avant tout être identifiable.

 

La principale difficulté pour enregistrer une marque olfactive ou gustative consistera donc à trouver un moyen suffisamment intelligible, durable, clair et précis pour traduire l’odeur ou le goût que l’on souhaite protéger. Cette traduction devra permettre de déterminer ce qu’est le signe et la particularité qui le rend reconnaissable. Par exemple, pour une odeur de rose, il faudra pouvoir distinguer l’odeur d’une espèce de rose en particulier et non toutes les odeurs de roses. Le signe correspondra à cette odeur en particulier et sa  représentation devra permettre de l’identifier et de la reconnaître. Le déposant pourra également fournir une formule chimique. On identifiera ainsi l’odeur grâce à cette formule, capable d’être représentée graphiquement. En effet, si les limites du signe ne sont pas clairement déterminées, il sera ensuite impossible de vérifier qu’il remplit bien les autres critères de la marque, notamment celui de la distinctivité.

Ces représentations nouvelles sont désormais possibles à mettre en œuvre grâce à des moyens techniques offrant des garanties suffisantes. Ainsi, une formule chimique, une description, un échantillon, ou la combinaison de ces éléments, peuvent à présent remplir le critère de représentation.

 

Les répercussions de la suppression de l’exigence de représentation graphique

 

Supprimer l’exigence de représentation graphique conduit à s’adapter aux nouvelles technologies, aux développements de l’innovation et à la  compétitivité entre entreprises. Néanmoins, l’évolution du droit des marques en la matière ne fait que commencer et soulève de nombreuses questions. Par exemple, l’INPI (comme les autres offices européens) est peu habitué à devoir examiner des formules chimiques ou des échantillons, et il devra s’adapter à ces nouveaux moyens de représentation et à leurs conséquences pratiques. En outre, ces changements auront également un impact pratique sur l’appréciation de la contrefaçon. Par exemple, établir l’existence d’une utilisation frauduleuse d’une odeur pourra se révéler plus ardu que d’établir la fraude pour une marque représentée graphiquement.

Les consommateurs utilisent bien peu leur odorat ou leurs papilles pour identifier une marque. De ce fait, une fois enregistrée, une marque olfactive ou gustative pourrait avoir de grandes chances de se voir frapper de déchéance. Ces marques sont, pour le moment du moins, peu nombreuses et par conséquent les juridictions compétentes devront  probablement attendre longtemps afin de pouvoir apprécier ce qui constitue ou non une représentation claire et précise. La prise en compte de l’existence de ces marques par le droit est bienvenue, mais elle n’entrainera pas nécessairement leur usage répandu.

 

A suivre…