Les litiges complexes n’ont pas vocation à être résolus par la procédure UDRP : le cas d’un conflit entre fabricant et ancien distributeur

Dreyfus | Breves21 octobre 2022, Laboratoires Sterop S.A. v. Belaid Louahrani, Laboratoires Sterop LLC, Affaire No. D2022-2828 (1)

 

Dans une décision du 21 octobre 2022, la plainte UDRP déposée par la société belge Laboratoires Sterop S.A. (« Laboratoires Sterop »), visant le nom de domaine <sterop.net>, a été rejetée. Particularité du litige : il oppose les Laboratoires Sterop à une société émiratie au nom homographe, les Laboratoires Sterop LLC et à son fondateur.

Le requérant est un groupe pharmaceutique belge développant plusieurs gammes de produits pharmaceutiques à travers le monde : dispositifs médicaux, compléments alimentaires, produits d’hygiène, etc. Il est titulaire de plusieurs marques « STEROP », la plus ancienne étant enregistrée au Benelux depuis 1972 (renouvelée) et la plus récente étant enregistrée aux Emirats Arabes Unis depuis le 18 février 2020, pour des produits en classe 5.

Le nom de domaine litigieux est enregistré depuis le 15 août 2019 par la société défenderesse. Ce dernier redirige vers un site affichant un message de bienvenue et indiquant que l’activité du défendeur concerne la vente de produits pharmaceutiques.

Le défendeur est titulaire d’une marque semi-figurative « STEROP » enregistrée le 1er mars 2020 aux Emirats Arabes Unis pour des produits en classe 5, une date d’enregistrement très proche de celle de la marque antérieure du requérant dans cette juridiction.

Rappelant dans un premier temps son ancienneté, la société belge admet ensuite avoir autorisé une société dénommée Laboratoires Sterop FZ-LLC à développer ses activités scientifiques aux Emirats Arabes Unis. Elle conteste cependant avoir donné une quelconque autorisation à la société défenderesse, en énonçant notamment que les deux sociétés sont distinctes. Le requérant insiste sur le fait qu’il n’entretient aucune relation avec le défendeur et qu’il l’a d’ores et déjà mis en demeure, à deux reprises, de cesser l’utilisation du terme « STEROP ».

Afin de contrer les allégations du requérant, le défendeur fait valoir que le nom de domaine litigieux a été enregistré avec le consentement non équivoque de la société belge, résultant d’un accord commercial entre les parties. 

Le défendeur avance également que la société Laboratoires Sterop FZ-LLC détient en partie la société Laboratoires Sterop LLC et que ces deux sociétés évoluent sur des territoires distincts des Emirats Arabes Unis. De même, le défendeur énonce que l’un des dirigeants de la société belge est en réalité actionnaire à hauteur de 20% des parts de la société Laboratoires Sterop FZ-LLC et donc indirectement de la société Laboratoires Sterop LLC. 

En outre, le défendeur explique qu’il opère en tant que distributeur de médicaments alors que le demandeur opère en tant que fabricant de médicaments. Ainsi, leurs activités étant complémentaires, le défendeur aurait été l’un des distributeurs du requérant et leurs deux marques auraient parfaitement coexisté jusqu’à ce que le requérant ne décide de mettre fin à la relation commerciale.

D’autres arguments sont successivement invoqués par les parties. Le requérant argue entre autres ne pas avoir autorisé en amont le dépôt de la marque du défendeur, mais l’avoir constaté une fois le fait accompli. Il indique également que le défendeur commercialise dorénavant des produits concurrents aux siens et ne doit donc plus faire usage de la marque « STEROP ». Le requérant a fourni par ailleurs plusieurs documents pour tenter d’étayer ses arguments, toutefois en français alors que la procédure est en anglais. Partant, ils ne peuvent être reçus.

En tout état de cause, il est évident que l’expert ne peut rendre une décision – sur la base de ces éléments – donnant véritablement tort ou raison aux parties.  En effet, il semble plus s’agir d’une joute verbale entre deux anciens partenaires désormais concurrents.  

Dans une analyse assez succincte, et sans revenir sur tous les points exposés par les parties, l’expert considère que, même si la preuve d’un consentement non équivoque du demandeur n’a pas été rapportée, il est impossible de conclure que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux au vu des preuves rapportées. Pour trancher ce point, il faudrait procéder à une analyse poussée, qui ne relève pas du champ d’application de la procédure UDRP, qui couvre strictement les cas de cybersquatting.

Force est pourtant de constater qu’il est encore fréquent que d’anciens partenaires tentent de régler leurs conflits par ce biais.

Enfin, même si le demandeur aurait dû savoir que sa plainte n’avait pas de chance d’aboutir, l’expert ne considère pas qu’il s’agit d’un cas de Reverse Domain Name Hijacking (en français « détournement inversé de nom de domaine »), où le demandeur aurait introduit sa plainte dans le seul but d’harceler ou de nuire au défendeur. 

Aussi, il convient de rappeler que les litiges méritent d’être traités avec une vision globale. Si le litige comprend plusieurs volets (conflit sur une marque, sur un nom de domaine, concurrence déloyale, etc.), rechercher la procédure idoine est impérative. Si deux parties se disputent une marque, laquelle est reflétée dans un nom de domaine, il convient d’agir simultanément sur les deux, via une procédure judiciaire, ou à tout le moins d’obtenir une décision sur la marque avant de se tourner vers la procédure administrative de l’UDRP pour tenter de récupérer le nom de domaine.

 

Référence 

(1) https://www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/pdf/2022/d2022-2828.pdf