Dans un contexte où l’innovation repose de plus en plus sur des partenariats technologiques et des échanges de savoir-faire sensibles, les entreprises doivent redoubler de vigilance pour préserver la confidentialité de leurs informations stratégiques. Une divulgation technique mal encadrée peut en effet compromettre la validité d’un brevet, entraîner une perte de droits ou engager la responsabilité du déposant. Cet article revient sur les risques juridiques liés à la divulgation d’un savoir-faire dans le cadre d’un projet de brevet, à travers l’analyse d’une jurisprudence récente, et propose des bonnes pratiques concrètes pour sécuriser ces échanges.
Sommaire
Les enjeux juridiques de la divulgation d’un savoir-faire
Quand la divulgation confidentielle mène à un conflit de brevet
Utiliser des informations techniques confidentielles pour déposer un brevet peut entraîner :
- Une action en revendication de propriété du brevet ;
- Des dommages et intérêts pour violation contractuelle, notamment en cas de clause de confidentialité ;
- La perte du secret sur les éléments divulgués via la publication du brevet.
Affaire Air Liquide (TJ Paris, 31 janvier 2025)
Dans cette affaire, les sociétés Futura Mechanical Design Project (FMDP) et sa société mère F2M SAS avaient été sollicitées par le groupe Air Liquide pour réaliser une étude technique sur une pompe à hydrogène liquide. Cette étude était encadrée par un accord de confidentialité signé entre les parties, lequel interdisait expressément à la partie réceptrice de déposer un titre de propriété industrielle basé sur les informations reçues.
Malgré cet engagement, une société affiliée au groupe Air Liquide a déposé un brevet français, puis une demande internationale PCT, fondés sur les éléments techniques transmis dans le cadre confidentiel. Les sociétés FMDP et F2M ont alors engagé une action en revendication de la propriété du brevet, soutenant que leur savoir-faire et les résultats de leur étude avaient été indûment exploités.
Le Tribunal judiciaire de Paris a confirmé :
- Que les éléments brevetés étaient antérieurement détenus par FMDP ;
- Que le brevet avait été déposé en violation de l’accord de confidentialité ;
- Que les Conditions Générales d’Achat invoquées par Air Liquide, prévoyant un transfert de droits, n’étaient ni acceptées ni applicables dans les faits.
La juridiction a donc ordonné le transfert de propriété du brevet, condamné Air Liquide à des dommages et intérêts, et rejeté sa demande reconventionnelle. Cette décision souligne l’importance de la preuve de la possession antérieure, de la vigilance contractuelle et de la force contraignante des clauses de confidentialité dans les projets d’innovation.
Obligations de confidentialité et conséquences juridiques
Les clauses standard de confidentialité prévoient généralement que :
- Les informations échangées ne peuvent être utilisées que dans le cadre du projet défini ;
- Aucun titre de propriété industrielle ne peut être déposé sur la base de ces informations.
En cas de violation, la partie fautive s’expose à :
- La nullité du brevet obtenu ;
- Un transfert judiciaire de propriété à la partie lésée ;
- Une condamnation à réparer le préjudice subi.
Les bonnes pratiques en cas de divulgation de savoir-faire dans un contexte de brevet
- Rédiger des accords de confidentialité solides et adaptés à chaque finalité
Les modèles génériques sont souvent insuffisants. Chaque accord de confidentialité (NDA) doit être soigneusement adapté au contexte, en prévoyant notamment :
- Une définition claire de ce qui constitue une information confidentielle ;
- Des stipulations explicites interdisant (ou encadrant strictement) l’utilisation des informations confidentielles à des fins de dépôt de brevet ;
- Des clauses réservant tous les droits de propriété intellectuelle préexistants au bénéfice de la partie divulgatrice.
- Sécuriser la preuve de la détention antérieure de l’invention
Il est essentiel de tenir une traçabilité interne rigoureuse des développements techniques, au moyen notamment :
- De fiches de divulgation d’invention datées et signées (Invention Disclosure Forms) ;
- De coffres-forts numériques ou d’enveloppes e-Soleau pour les données sensibles ;
- De journaux internes retraçant les échanges de courriels et les travaux de R&D.
Ces éléments sont déterminants pour prouver l’antériorité des droits et contrer toute revendication indue de propriété.
- Clarifier les clauses de propriété intellectuelle dans tous les contrats
Au-delà de l’accord de confidentialité, veillez à ce que tous les contrats (bons de commande R&D, accords de collaboration, contrats de licence, etc.) prévoient de manière explicite :
- L’identité du titulaire des résultats et des livrables ;
- L’étendue et les limites des droits de cession ou de licence éventuellement accordés.
- Rejeter formellement les conditions générales contradictoires
Il ne faut jamais se fier à un simple silence. Dans l’affaire Air Liquide, les conditions générales (GTC) invoquées par l’une des parties ont été jugées inapplicables en raison :
- De l’absence d’acceptation formelle par la partie adverse ;
- D’échanges contradictoires démontrant un désaccord explicite.
Pour éviter toute ambiguïté :
- Toujours confirmer par écrit l’acceptation ou le refus des CGV ;
- Insérer, si nécessaire, des clauses dérogatoires spécifiques dans les contrats ou annexes portant sur la propriété intellectuelle.
- Mettre en place un protocole interne rigoureux de divulgation
Avant toute communication externe, les entreprises doivent mettre en œuvre un protocole structuré comprenant :
- Une validation juridique préalable du périmètre de divulgation ;
- Une classification des documents (par exemple : « Confidentiel – Ne pas diffuser ») ;
- Un suivi interne des échanges : identification des destinataires, dates, finalités et conditions de la communication.
Conclusion : prévenir les risques de responsabilité en matière de brevet
Une mauvaise gestion des échanges techniques peut compromettre des actifs stratégiques et générer un contentieux complexe, coûteux et médiatique. Chaque NDA, commande ou contrat de partenariat doit faire l’objet d’une analyse approfondie, avec une vigilance accrue sur les clauses de propriété intellectuelle et de confidentialité. Une gouvernance interne solide est indispensable pour sécuriser les démarches d’innovation.
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FAQ
1. Peut-on breveter une invention reçue dans le cadre d’un NDA ?
Non, sauf si le contrat le prévoit expressément et que l’information ne relève pas d’un secret industriel protégé.
2. Que faire si les deux parties ont contribué à l’invention ?
Un accord de copropriété ou une analyse d’inventivité conjointe doit être établi avant tout dépôt.
3. Les CGV suffisent-elles pour se réserver la propriété d’un brevet ?
Non, elles doivent être acceptées explicitement, sans contradiction avec d’autres clauses contractuelles.