L’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne constitue une exigence fondamentale pour le maintien des droits conférés par son enregistrement. À travers l’arrêt rendu le 5 mars 2025 dans l’affaire T-118/24, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) précise à nouveau les contours de cette notion ainsi que la portée de l’obligation de motivation pesant sur l’EUIPO. Cet article expose les fondements juridiques et les implications pratiques de cette décision pour les titulaires de marques et les professionnels du droit des marques.

L’usage sérieux d’une marque de l’Union : cadre et enjeux

Le droit sur une marque de l’Union européenne (MUE), prévu par le règlement (UE) 2017/1001, repose sur un principe fondamental : l’usage. Passé un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, une marque qui n’a pas été utilisée de manière sérieuse pour les produits ou services enregistrés peut faire l’objet d’une déchéance (art. 58, §1, a)).

Un usage est considéré comme sérieux lorsqu’il est effectif, réel, et conforme aux pratiques du marché. Il ne doit pas être purement symbolique ou destiné uniquement à contourner les règles. Même un usage limité peut être jugé sérieux s’il est cohérent avec la nature du marché d’après la jurisprudence Sunrider/OHMI (CJUE, C-416/04).

Les preuves admissibles sont variées :

  • Factures et bons de commande,
  • Supports publicitaires,
  • Captures de réseaux sociaux ou sites web,
  • Documents montrant l’apposition de la marque sur les produits ou leur conditionnement.

L’usage doit intervenir dans l’Union et concerner les produits et services effectivement enregistrés.

 

  1. L’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO

Selon l’article 94 du règlement (UE) 2017/1001, l’EUIPO doit motiver ses décisions de manière claire, complète et compréhensible. Cette exigence vise à :

  • Permettre aux parties de comprendre la décision,
  • Garantir au juge de l’Union un contrôle effectif de la légalité de l’acte.

Un défaut de motivation peut entraîner l’annulation d’une décision, notamment si la chambre des recours omet d’analyser un argument pertinent ou de justifier ses conclusions sur les preuves versées au dossier.

 

L’arrêt TUE 5 mars 2025, aff. T-118/24 : faits et portée

Dans cette affaire, une demande en déchéance est formée contre une MUE enregistrée en classe 14 (bijoux). L’EUIPO rejette la demande en partie, considérant que l’usage sérieux est démontré pour certains produits. La requérante forme alors un recours devant le TUE, invoquant deux griefs :

  • L’absence d’usage sérieux (qualité des preuves contestée),
  • Le défaut de motivation de la décision de l’EUIPO.

La preuve de l’usage

Le TUE confirme la position de l’EUIPO. L’usage sérieux est démontré par :

  • 112 factures, dont 64 portant sur des bijoux,
  • Des captures d’écran de publicités sur Facebook, YouTube et Twitter,
  • Une présentation commerciale sur le site web de la titulaire.

Même en l’absence d’apposition physique de la marque sur les produits, ces éléments sont jugés suffisants pour établir un lien entre la marque et la commercialisation.

Le Tribunal rappelle aussi que le volume de ventes doit être apprécié dans son contexte économique. La faible quantité peut être justifiée si les produits sont coûteux ou de niche.

L’usage à l’export

S’agissant des ventes hors UE, le TUE rappelle que l’article 18, §1, b) impose une exigence stricte. En effet, la marque doit apparaître sur les produits ou leur conditionnement pour valider un usage uniquement à des fins d’exportation.

Toutefois, en l’espèce, la majorité des preuves concernait le territoire de l’Union. Le défaut d’examen de cette exigence par l’EUIPO n’a donc pas entaché la légalité de la décision.

Le défaut de motivation

La requérante reprochait à l’EUIPO de ne pas avoir motivé :

  • L’interprétation des preuves relatives à l’exportation,
  • Le rejet implicite de son argument sur les services de vente au détail, prétendument visés par l’usage.

Le TUE écarte ces griefs :

  • L’argument relatif à la classe 35 n’a pas été soulevé devant l’EUIPO, et ne peut donc être invoqué pour contester la motivation.
  • Même à supposer une insuffisance de motivation sur certains aspects, celle-ci serait sans incidence, dès lors que l’usage sur le territoire de l’Union est amplement démontré.

 

Enseignements pratiques pour les titulaires de marques

L’arrêt T-118/24 illustre parfaitement les exigences actuelles en matière d’usage de marque au sein de l’Union :

  • Documenter en amont toute activité commerciale : des factures, des publicités, des captures d’écrans peuvent constituer un faisceau probant.
  • Penser à la portée géographique : l’usage dans l’UE doit être identifiable et localisable.
  • Adapter la stratégie probatoire à la nature du marché : pour des produits de luxe ou à forte valeur unitaire, un volume de ventes limité peut suffire à démontrer un usage sérieux.

Par ailleurs, l’arrêt est un signal fort adressé à l’EUIPO. Effectivement, chaque décision doit être rigoureusement motivée, notamment sur l’appréciation des preuves.

Conclusion

L’affaire T-118/24 renforce la jurisprudence européenne sur deux axes essentiels : l’interprétation exigeante de l’usage sérieux, et la nécessité d’une motivation transparente des décisions de l’EUIPO. Pour les titulaires de marques, cet arrêt rappelle l’importance d’anticiper les actions en déchéance par une gestion rigoureuse des preuves d’usage. Pour les praticiens, il souligne la valeur contentieuse d’un défaut de motivation, même si celui-ci ne suffit pas toujours à renverser une décision.

 

À retenir : Pour préserver ses droits, un titulaire de MUE doit démontrer un usage sérieux conforme à la réalité économique. En parallèle, toute décision de l’EUIPO doit être suffisamment motivée pour satisfaire aux exigences du droit à un recours effectif.

 

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FAQ

1. Qu’est-ce qu’un usage sérieux d’une marque de l’Union européenne ?

Il s’agit d’un usage réel, effectif et régulier de la marque, en cohérence avec les pratiques du marché concerné. L’usage doit viser à créer ou maintenir une part de marché pour les produits ou services enregistrés.

2. Quels types de preuves sont recevables devant l’EUIPO ?

Les preuves peuvent inclure des factures, des bons de commande, des campagnes publicitaires, des captures de sites web ou de réseaux sociaux, ainsi que toute documentation établissant un lien entre la marque et sa commercialisation dans l’Union européenne.

3. Faut-il prouver l’usage dans plusieurs pays de l’Union ?

Non. L’usage dans un seul État membre peut suffire, à condition qu’il ne soit pas purement symbolique ou marginal au regard des marchés visés.