Le marché des boissons évolue rapidement, avec une forte montée en puissance des alternatives sans alcool, telles que les bières sans alcool, souvent proposées comme substituts des boissons alcoolisées traditionnelles comme le gin ou la vodka. Cette évolution soulève des questions importantes en droit des marques : une marque enregistrée pour une boisson alcoolisée peut-elle faire obstacle à l’enregistrement d’une marque similaire couvrant une boisson sans alcool ? Plus simplement, existe-t-il un risque de confusion entre ces catégories de produits ?

La réponse est affirmative, comme l’a récemment confirmé la Cinquième Chambre d’appel de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans une affaire emblématique dite KINGSMAN, du 24 janvier 2025. Cette décision met en lumière les critères que les autorités prennent en compte pour évaluer ce risque de confusion, au-delà de la simple nature alcoolique du produit.

 

Comment la jurisprudence et notamment l’EUIPO analyse la similarité entre des produits différents en droit des marques

2.1 La classification des produits

Les boissons alcoolisées (telles que le gin, le vin ou le champagne) sont généralement enregistrées dans la classe 33 de la classification de Nice, alors que les boissons non alcoolisées (comme la bière sans alcool) sont rattachées à la classe 32. Traditionnellement, ces classes distinctes pouvaient limiter le risque de confusion, car les produits étaient perçus comme différents.

2.2 Une appréciation globale au-delà des classes

Pourtant, la réalité du marché pousse à une analyse plus large. L’EUIPO évalue la similarité des produits en tenant compte non seulement de leur nature, mais aussi de leur usage, des canaux de distribution, des points de vente, et de la perception que peut en avoir le consommateur moyen.

Ainsi, la simple différence liée à la présence ou non d’alcool ne suffit pas à exclure un risque de confusion si les produits sont proposés dans des contextes proches, voire identiques, et s’adressent à un même public.

 

L’arrêt KINGSMAN : un tournant clé

3.1 Présentation de l’affaire

Dans l’affaire KINGSMAN (R 1426/2024-5), le requérant cherchait à enregistrer une marque pour des bières non alcoolisées en classe 32, alors qu’une marque antérieure identique existait pour des boissons alcoolisées (classe 33) telles que du whisky, de la vodka ou du gin.

3.2 Analyse des risques de confusion

La Cinquième Chambre d’appel (BoA) de l’EUIPO a confirmé qu’un risque de confusion existe entre boissons alcoolisées (comme le gin) et les bières sans alcool.

Plusieurs facteurs expliquent cette décision :

  • Ces produits s’adressent souvent au même consommateur, dans des situations sociales similaires (bars, restaurants, supermarchés).
  • Ils circulent dans des canaux de distribution et points de vente communs.
  • Le consommateur perçoit avant tout une « boisson », indépendamment du taux d’alcool, ce qui peut mener à une confusion sur l’origine ou la provenance commerciale.

3.3 Conséquences pratiques

Cette décision impose une vigilance renforcée pour les marques dans ce secteur :

  • Une marque pour une boisson non alcoolisée peut être contestée en raison d’une marque pour une boisson alcoolisée proche, et vice versa.
  • Les boissons désalcoolisées (comme les vins désalcoolisés) sont également considérées comme proches des boissons alcoolisées dans cette analyse.

Comprendre la perception du consommateur et le contexte commercial

4.1 Points de vente et modes de consommation

Les boissons alcoolisées et non alcoolisées sont souvent vendues côte à côte dans les mêmes lieux : supermarchés, bars, restaurants, et sur des canaux identiques, ce qui accentue le risque que le consommateur puisse confondre des marques proches.

4.2 Le rôle de l’alcool dans la perception

Même si le consommateur sait reconnaître la différence d’alcool, l’interprétation du droit des marques prend en compte l’impression globale et le contexte commercial, qui peuvent facilement atténuer cette distinction. Le consommateur moyen n’a pas nécessairement une expertise pointue et s’appuie sur la ressemblance visuelle et sonore des marques ainsi que le contexte d’achat.

 

Conseils pratiques pour protéger efficacement votre marque

5.1 Dépôt et choix des classes

Pour sécuriser une marque dans le secteur des boissons, il est recommandé de déposer la marque dans les classes 32 et 33. Cette double protection est essentielle pour couvrir à la fois les boissons alcoolisées et non alcoolisées, notamment dans un marché où les gammes de produits évoluent souvent.

5.2 Surveillance et actions de renforcement

Une surveillance active est indispensable pour détecter rapidement tout dépôt ou usage de marques similaires dans des classes connexes. Cela permet d’agir efficacement en cas de risque de confusion ou d’atteinte aux droits.

 

Conclusion : anticiper et maîtriser les risques de confusion

L’évolution du marché des boissons, avec la popularité croissante des alternatives sans alcool, modifie profondément les critères d’appréciation du risque de confusion en droit des marques. La décision KINGSMAN marque un tournant en reconnaissant un risque réel entre marques couvrant boissons alcoolisées et non alcoolisées.

Pour les titulaires et demandeurs de marques, une approche stratégique, anticipative et globale est la clé pour protéger efficacement leur image et leurs droits.

 

FAQ

Une marque pour bière sans alcool peut-elle être contestée par une marque de vin ?

Oui, la jurisprudence récente confirme un risque de confusion, en particulier si les marques sont proches et les produits vendus dans des contextes similaires.

La différence d’alcoolémie suffit-elle à éviter la confusion ?

Non, la distinction de teneur en alcool n’exclut pas automatiquement le risque.

Comment le consommateur perçoit-il les différences entre boissons alcoolisées et non alcoolisées dans le cadre d’une appréciation de risque de confusion ?

Le consommateur moyen est souvent influencé par l’impression globale, qui inclut la ressemblance visuelle, phonétique des marques et le contexte commercial. Même s’il est conscient de la différence entre boissons alcoolisées et sans alcool, cette distinction peut être atténuée dans un environnement de vente où ces produits coexistent, ce qui augmente le risque de confusion.