Introduction

La confiance numérique est devenue un enjeu stratégique. Pourtant, les faux avis pullulent sur les plateformes, faussant la perception des consommateurs et nuisant à la loyauté du marché. Qu’ils soient rédigés à des fins commerciales ou commandés discrètement, ces avis trompeurs ne sont plus tolérés. Aujourd’hui, les autorités européennes, à l’instar de la France, et en dehors de l’Union européenne comme le Royaume Uni, renforcent leur arsenal afin d’en finir avec ces pratiques et un nouveau standard de vigilance s’impose aux entreprises.

Manipulation de l’e-réputation : les pratiques et enjeux liés aux faux avis

Lorsque l’on évoque le terme de « faux avis » il est fait référence à une pratique commerciale déloyale englobant différents types de fraude.

  • La rédaction ou diffusion d’avis prétendument authentiques mais fondés sur des expériences fictives

 

  • Les avis incitatifs dissimulés, qui consiste en une offre de réductions ou produits gratuits en échange d’un avis positif non signalé de manière explicite.

 

  • La présentation trompeuse des avis, qui regroupe toute pratique visant à manipuler le consommateur en supprimant ou dissimulant les avis négatifs, en mettant en avant les avis exclusivement positifs, en utilisant des notes agrégées biaisées (étoiles, pouces bleus, etc.), ou encore en détournant les avis d’un produit vers un autre (« review hijacking »)

 

  • Les services de facilitation, prestataires proposant de contourner les systèmes de détection ou de générer des faux avis automatisés.

En France, la DGCCRF estime qu’environ 55% des sites contrôlés présentent des irrégularités en matière de collecte, modération ou publication des avis. Ces pratiques, en plus d’induire le consommateur en erreur, portent atteinte au bon fonctionnement du marché et à la loyauté de la concurrence.

Encadrement juridique en France et dans l’Union européenne

Depuis la transposition de la directive européenne 2019/216, dite « Omnibus », en droit français via l’ordonnance n° 2021‑1734, le cadre juridique impose aux professionnels une transparence accrue. L’article L.121-4 du Code de la consommation interdit explicitement la publication de faux avis, les assimilant à des pratiques commerciales trompeuses. L’article L.132-2 de ce même code les sanctionne de deux ans d’emprisonnement, 300 000 euros d’amende. Le montant de l’amende pouvant être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel.

Pour renforcer l’efficacité des contrôles, la DGCCRF a déployé un outil algorithmique baptisé « Polygraphe ». Capable d’analyser en temps réel des schémas de langage, de fréquence de publication ou de provenance géographique, ce dispositif permet de détecter les campagnes organisées de manipulation d’opinion.

À l’échelle européenne, la directive Omnibus a introduit une obligation d’information renforcée sur les modalités de vérification des avis en ligne. Elle s’appuie notamment sur la norme ISO 20488, qui impose des standards élevés en matière de fiabilité, de traçabilité et de modération. Le règlement 2022/2065, dit « Digital Services Act » (DSA), entré en vigueur en 2024, complète ce dispositif en imposant aux plateformes, en particulier celles des GAFAM, des obligations strictes de retrait de contenu illicite et de coopération avec les autorités.

La France a récemment illustré une position répressive à l’égard de ces pratiques dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2025 (n° 22/16356). Dans cette affaire, baptisée « La Loco et Le Wagon c. La Capsule », et opposant des sociétés concurrentes de formation au codage informatique, la Cour d’appel de Paris a sanctionné la publication de faux avis négatifs anonymes visant à dénigrer l’offre de formation de la société La Capsule. Ces avis avaient été publiés par des personnes n’ayant jamais suivi les services critiqués, sans identification claire de l’auteur, en véhiculant des informations erronées et sans révéler l’intention commerciale sous-jacente.

La Cour a retenu plusieurs fondements juridiques : les articles L.121-1 à L.121-3 du Code de la consommation, relatifs aux pratiques commerciales trompeuses, dont l’article L.121-2, 3°, qui qualifie de trompeuse toute pratique mise en œuvre au nom d’une personne non identifiable ; les obligations issues de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), imposant l’identification claire des éditeurs de contenus en ligne. Il a été accordé à la société victime une indemnisation du préjudice économique, et moral subi, résultant d’une perte de clientèle mesurée à hauteur de 40% et de l’atteinte à l’image et à la réputation.

Cette décision illustre la fermeté croissante des juridictions françaises face aux pratiques de dénigrement numérique, particulièrement lorsque l’anonymat est utilisé pour masquer une stratégie concurrentielle malveillante. Mais cette position n’est pas nouvelle, à l’image de l’arrêt du 19 mars 2008 (n° 07/2506) où la Cour d’appel de Paris avait lourdement sanctionné la société DDI pour dénigrement. Cette dernière avait publié sur son site internet des avis exclusivement négatifs concernant les produits de la société L&S, puis avait remplacé ces avis par un message précisant qu’ils avaient été retirés à la demande de L&S, qui les jugeait dénigrants. La Cour a estimé que tant les avis initiaux que le message de remplacement jetaient le discrédit sur la qualité des produits de L&S et constituaient donc des actes de dénigrement fautifs.

Le Royaume-Uni et la nouvelle DMCCA : un cadre encore plus contraignant

Depuis le 6 avril 2025, le Royaume-Uni a adopté un texte particulièrement ambitieux : le Digital Markets, Competition and Consumers Act (DMCCA). Cette loi interdit non seulement la publication de faux avis, mais aussi celle d’avis incitatifs non signalés ou importés depuis des fiches produit différentes. La Competition and Markets Authority (CMA) peut désormais imposer directement des amendes pouvant atteindre 300 000 livres, et possiblement portées, de la même façon qu’en France, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, proportionnellement aux avantages tirés du délit.

La DMCCA prévoit également l’obligation pour les grandes plateformes de mettre en œuvre des politiques de vérification robustes, de réaliser des audits internes réguliers, et de publier leurs procédures de modération. Elle consacre ainsi une logique de conformité proactive, plaçant la responsabilité au cœur de la stratégie digitale des entreprises.

Prévenir les risques juridiques liés aux faux avis et gérer sa e-réputation

Les entreprises sont aujourd’hui confrontées à un double impératif stratégique : d’une part, éviter toute implication dans la diffusion de faux avis, qui pourrait engager leur responsabilité pénale ou administrative ; d’autre part, se prémunir activement contre les contenus mensongers ou malveillants publiés à leur encontre, susceptible de nuire à leur réputation en ligne. Il en découle nécessairement une organisation interne structurée autour de ces deux axes.

Sur le plan de la conformité, il est indispensable de mettre en place une politique officielle de gestion des avis clients, formalisée, transparente et conforme à la norme ISO 20488. Cette politique doit notamment encadrer la collecte, la vérification, la modération et l’archivage des avis. Les avis sponsorisés ou incitatifs doivent être explicitement signalés. Toute intervention directe ou indirecte de l’entreprise dans la création ou la publication d’avis doit pouvoir être documentée et justifiée.

Parallèlement, la gestion de l’e-réputation suppose une veille active et rigoureuse. Cela implique de détecter rapidement les faux avis négatifs, les campagnes de dénigrement organisées ou les tentatives d’usurpation d’identité numérique. En cas de contenu litigieux, les entreprises doivent être prêtes à mobiliser les leviers juridiques disponibles : notifications aux plateformes, procédures de déréférencement, mises en demeure, voire actions judiciaires pour atteinte à l’image ou à la réputation.

Cette stratégie globale ne peut être efficace sans une formation ciblée des équipes concernées, notamment marketing, relation client, content management et service juridique. Ces équipes doivent être sensibilisées aux obligations réglementaires européennes (Directive Omnibus, DSA), françaises (Code de la consommation, DGCCRF) et, pour les entreprises internationales, au DMCCA britannique.

Il ne s’agit donc plus uniquement de respecter des obligations formelles, mais de développer une véritable culture interne de la transparence, de la traçabilité et de la maîtrise du risque numérique. Cette posture préventive est aujourd’hui essentielle pour préserver la crédibilité d’une marque dans un environnement en ligne de plus en plus surveillé, tant par les consommateurs que les autorités, et les concurrents.

Conclusion

La réglementation sur les faux avis en ligne est entrée dans une phase de maturité. La France et l’Union européenne disposent aujourd’hui d’un corpus juridique solide, complété par des outils de détection avancés. Le Royaume-Uni, de son côté, a franchi un cap en introduisant une approche intégrée via la DMCCA, marquant un tournant dans la lutte contre les contenus frauduleux.

Pour les entreprises, se conformer ne relève plus du choix stratégique mais d’une nécessité opérationnelle, tant les risques pesant sur leur image, leur position concurrentielle et leur sécurité juridique sont élevés.

FAQ

Comment fonctionne l’algorithme Polygraphe ?

Développé par la DGCCRF, il repère les anomalies statistiques ou sémantiques caractéristiques des campagnes de faux avis.

Le DMCCA britannique s’applique-t-il aux entreprises françaises ?

Oui, dès lors qu’elles ciblent des consommateurs au Royaume-Uni. Cela inclut, par exemple, la présence d’un site en anglais destiné au public britannique, l’expédition de marchandises vers le Royaume Uni, ou toute offre de services à des consommateurs britanniques.

Comment se mettre en conformité ?

Mettre en place une politique d’avis transparente, former les équipes, utiliser des outils d’analyse, archiver les preuves et signaler les partenariats.