Sommaire
Aperçu et cadre juridique
Définition des pièces de rechange dans le droit européen des dessins et modèles
Les pièces de rechange sont des composants qui remplacent ou restaurent l’apparence de produits complexes, tels que les véhicules, les appareils électroniques ou les appareils électroménagers. Si l’apparence d’une pièce de rechange est « nouvelle » et présente un « caractère individuel », elle peut bénéficier d’une protection au titre du règlement européen sur les dessins et modèles (articles 4 à 7 du règlement EUDR), des lois nationales sur les dessins et modèles et même du droit d’auteur.
Monopoles historiques
Historiquement, les fabricants d’équipements d’origine (OEM), c’est-à-dire les constructeurs automobiles et les producteurs d’origine de composants de véhicules, se sont appuyés sur les droits de conception et le droit d’auteur pour exercer leur contrôle sur le marché des pièces de rechange. Bien que le marché indépendant des pièces de rechange automobiles (IAM) opère en dehors des réseaux des OEM, il reste étroitement lié à ces derniers d’un point de vue économique, car il fournit des pièces compatibles ou équivalentes pour la réparation et l’entretien des véhicules fabriqués par les OEM. En 2023, le marché indépendant représentait environ 62 % du marché européen des pièces détachées, soit 73 milliards d’euros sur un total de 118 milliards, tandis que les équipementiers conservaient les 38 % restants (Roland Berger – Panorama européen du marché indépendant de l’automobile – 2024).
Évolution – Réformes législatives
Libéralisation du marché français (2021-2023)
Avec la loi Climat et Resilience du 22 août 2021, la France a modifié son Code de la propriété intellectuelle afin de faciliter le retrait des logos par les équipementiers et d’ouvrir à la concurrence les pièces détachées visibles des véhicules.
Avant cette réforme, les droits de conception accordaient aux équipementiers l’exclusivité sur la fabrication et la commercialisation de ces pièces pendant une période de 25 ans, ce qui limitait fortement l’accès des producteurs indépendants. La modification législative a réduit cette exclusivité au profit d’une concurrence accrue, avec un régime transitoire prenant fin le 1er janvier 2023, date à partir de laquelle les fournisseurs indépendants ont été autorisés à fabriquer et à vendre des pièces (telles que des phares, des capots et des pare-chocs) sans enfreindre les dessins et modèles enregistrés, à condition qu’aucun logo ou signe protégé ne reste apposé.
Paquet de réformes de l’UE en matière de dessins et modèles (2024-2027)
L’UE a adopté une réforme globale par le biais :
- du règlement EUDR 2024/2822 (applicable à partir du 1er mai 2025, certaines dispositions à partir du 1er juillet 2026),
- de la directive 2024/2823 (à transposer avant le 9 décembre 2027).
Modernisation et extension du champ d’application
- Modernisation de la terminologie : le « dessin ou modèle communautaire » devient le « dessin ou modèle de l’UE » (symbole Ⓓ).
- Les définitions sont élargies pour inclure les interfaces numériques, les éléments animés et les dépôts multiples (jusqu’à 50 par demande), avec des règles harmonisées en matière de report.
Clause de réparation et pièces de rechange essentielles
- Une clause de réparation exempte certaines « pièces de rechange essentielles » de la protection des dessins ou modèles afin de favoriser la concurrence et de soutenir les objectifs de l’économie circulaire.
- Exemple : dans l’affaire historique Volkswagen c. W + S Autoteile GmbH (affaire I‑20 U 291/22), la Cour d’appel régionale de Düsseldorf a examiné si un boîtier de clé de voiture pouvait être considéré comme un « composant d’un produit complexe » au sens de la clause de réparation du droit communautaire des dessins ou modèles (article 110, paragraphe 1, du RDC).
o Faits : Volkswagen détenait un dessin ou modèle communautaire enregistré pour son boîtier de clé n° 001342174-0001 :
W + S commercialisait un boîtier de clé de voiture visuellement similaire, considéré comme portant atteinte à l’enregistrement du dessin ou modèle :
W + S a formé une demande reconventionnelle, invoquant la nullité et arguant que la clause de réparation exemptait la pièce.
o Motifs de la Cour : La Cour a confirmé que le boîtier de clé est un produit complexe à part entière, et non un composant physiquement fixé à la voiture. L’utilisateur averti ne le perçoit pas comme une partie fonctionnelle du véhicule. De plus, W + S n’a pas démontré que son produit serait uniquement utilisé à des fins de réparation, une exigence stricte prévue à l’article 110, paragraphe 1.
o Résultat juridique : La clause de réparation n’était pas applicable. Le boîtier de clé est un accessoire et non un « composant » de la voiture, il est donc entièrement soumis à la protection des dessins et modèles. Cette décision précise que pour bénéficier de la clause de réparation, une pièce de rechange doit :
a) être physiquement intégrable dans le produit complexe ;
b) être utilisée uniquement à des fins de réparation ;
c) être perçue par un « utilisateur averti » comme faisant partie du produit complexe.
Elle souligne l’interprétation restrictive de la notion de « composant », limitant la clause aux pièces physiquement assemblées, contrairement aux accessoires ou aux dispositifs électroniques.
Les fabricants d’accessoires doivent désormais évaluer avec soin si leurs produits relèvent véritablement de la clause de réparation ou s’ils restent exposés à des actions en contrefaçon de dessin ou modèle.
Impact sur les fabricants, les réparateurs et les consommateurs
Concurrence sur le marché et droits à la réparation
La libéralisation progressive du marché des pièces de rechange a supprimé des obstacles juridiques et économiques de longue date pour les réparateurs indépendants et les fournisseurs du marché secondaire. En limitant la portée de la protection des dessins et modèles pour les pièces de rechange visibles, les réformes nationales et européennes ont favorisé une plus grande concurrence sur le marché, permettant à d’autres acteurs d’offrir des composants compatibles sans craindre de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle.
La « clause de réparation » de l’UE joue un rôle central dans cet équilibre. Elle vise à concilier l’intérêt légitime des titulaires de droits de propriété intellectuelle à protéger la valeur esthétique de leurs produits et la nécessité de garantir la disponibilité des pièces de rechange essentielles. Cette disposition contribue à protéger le droit des consommateurs à la réparation, soutient l’économie circulaire et lutte contre les pratiques anticoncurrentielles en limitant la capacité des équipementiers à revendiquer l’exclusivité sur les pièces nécessaires pour restaurer l’apparence d’origine d’un produit.
Qualité, litiges et application
L’ouverture du marché des pièces de rechange a également des implications importantes pour la qualité des produits et la responsabilité juridique. Les équipementiers ont exprimé leurs préoccupations quant à la prolifération de pièces non conformes, ce qui les a incités à renforcer leurs régimes d’octroi de licences, à imposer des spécifications techniques et à exiger des clauses d’indemnisation dans leurs accords avec les fournisseurs tiers. Cela est particulièrement important dans les applications critiques pour la sécurité, telles que les systèmes d’éclairage, les rétroviseurs ou les composants de carrosserie soumis à des réglementations en matière de collision.
Du point de vue de l’application de la loi, les outils de propriété intellectuelle restent essentiels pour permettre aux équipementiers de surveiller et de lutter contre l’utilisation non autorisée :
- les saisies douanières au titre du règlement (UE) n° 608/2013 continuent de constituer un mécanisme de première ligne pour intercepter les marchandises contrefaites aux frontières.
- Des injonctions provisoires et des procédures accélérées sont régulièrement demandées devant les tribunaux nationaux, en particulier dans les cas où les pièces sont mal étiquetées ou ne relèvent pas de l’exception restrictive de la clause de réparation.
Les réparateurs indépendants et les producteurs du marché secondaire doivent donc évaluer avec soin si une pièce peut être considérée comme « essentielle » au titre de la clause de réparation et si sa reproduction est limitée à ce qui est strictement nécessaire pour restaurer l’apparence d’origine. En cas d’incertitude juridique, ils s’appuient de plus en plus sur les mécanismes de clarification et de recours introduits par le paquet « dessins et modèles » de l’UE de 2024, notamment l’amélioration des procédures de nullité, des orientations plus claires sur les composants et une interprétation harmonisée entre les États membres.
Conclusion
En résumé, le contrôle historique des équipementiers sur les pièces de rechange par le biais du droit des dessins et modèles a été fortement remis en cause par les réformes françaises et européennes. La clause de réparation, la modification des cadres de propriété intellectuelle et la clarification des procédures font pencher la balance en faveur de la concurrence et de la protection des consommateurs, tout en préservant les incitations à la propriété intellectuelle.
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Dreyfus Law Firm est partenaire d’un réseau mondial d’experts en propriété intellectuelle.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe Dreyfus
FAQ
1. Qu'est-ce qui est considéré comme une pièce de rechange « essentielle » au sens de la clause de réparation ?
Les pièces essentielles sont celles qui restaurent l'apparence du produit ; les couvercles fonctionnels non essentiels restent protégés.
2. La clause de réparation s'applique-t-elle automatiquement dans toute l'UE ?
Oui, à compter du 1er mai 2025 en vertu du règlement EUDR, harmonisé dans les législations nationales d'ici décembre 2027.
3. Que se passe-t-il si un réparateur indépendant supprime les logos OEM ?
En France, la suppression des logos est autorisée depuis janvier 2023 en vertu du CPI modifié, à condition que l'intégrité fonctionnelle soit préservée.
4. Les frais de renouvellement sont-ils plus élevés dans le cadre de la réforme européenne ?
Oui, les frais de renouvellement augmentent considérablement : par exemple, de 150 € (1er) à 700 € (4e) par dessin ou modèle.
5. Comment une entreprise peut-elle vérifier si une pièce enfreint un dessin ou modèle enregistré ?
Effectuez des recherches sur l'état de la technique, évaluez le dessin ou modèle par rapport à son caractère essentiel et tenez compte des normes de qualité afin de réduire les risques de contrefaçon.