Guide pratique pour sélectionneurs, entreprises semencières et conseils en propriété intellectuelle

Dernière mise à jour : Septembre 2025

Les obtentions végétales représentent un enjeu économique majeur dans l’industrie semencière mondiale. Ce guide complet vous accompagne dans l’optimisation de vos stratégies de protection variétale, de la création au contentieux.

Qu’est-ce qu’une obtention végétale ?

Définition du certificat d’obtention végétale (COV)

Le certificat d’obtention végétale (COV) est un titre de propriété intellectuelle qui protège les variétés végétales nouvelles. Contrairement au brevet, il s’agit d’un système de protection sui generis spécialement adapté au vivant végétal.

Variétés protégeables :

  • Toutes les espèces botaniques (cultivées ou sauvages)
  • Variétés créées par sélection traditionnelle
  • Hybrides F1 et lignées parentales
  • Variétés issues de biotechnologies (sous conditions réglementaires)

Cadre juridique français et international

En France :

  • Articles L623-1 à L623-35 du Code de la propriété intellectuelle
  • Instance nationale des obtentions végétales (INOV) au GEVES
  • Comité technique permanent de la sélection (CTPS) : autorité consultative

Au niveau international :

  • Convention UPOV (Union pour la protection des obtentions végétales)
  • 76 pays membres en 2025
  • Acte de 1991 : standard de référence actuel

Au niveau européen :

  • Office communautaire des variétés végétales (OCVV) à Angers
  • Protection unitaire sur les 27 États membres
  • Règlement CE n° 2100/94

Durée de protection

Type de variété Durée de protection
Variétés agricoles standard 25 ans
Arbres fruitiers, forestiers, vignes 30 ans
Pommes de terre 30 ans

Source : Loi n° 2006-236 du 1er mars 2006

Les 4 critères DHS de protection

Pour être protégée, une variété doit satisfaire cumulativement aux 4 critères UPOV :

Distinction (D)

La variété doit se distinguer nettement de toute variété notoirement connue à la date de dépôt.

Méthode d’évaluation :

  • Comparaison avec les variétés de référence les plus proches
  • Observation de caractères morphologiques et physiologiques
  • Application des protocoles techniques UPOV spécifiques à chaque espèce

Variétés notoirement connues :

  • Variétés protégées dans tout pays
  • Variétés inscrites aux catalogues officiels
  • Variétés commercialisées publiquement
  • Variétés décrites dans des publications spécialisées

Homogénéité (H)

La variété doit être suffisamment homogène dans ses caractères pertinents, compte tenu de son mode de reproduction.

Standards d’homogénéité :

  • Variétés autogames : homogénéité très élevée (> 99%)
  • Variétés allogames : tolérance selon l’espèce
  • Variétés clonales : homogénéité quasi-parfaite

Stabilité (S)

La variété doit demeurer conforme à sa description après reproductions successives.

Démonstration :

  • Minimum 2 cycles de reproduction
  • Maintien des caractères distinctifs
  • Absence de ségrégation anormale

Nouveauté

La variété ne doit pas avoir été commercialisée avec l’accord de l’obtenteur :

  • Plus d’1 an avant le dépôt (territoire national)
  • Plus de 4 ans avant le dépôt (autres pays)
  • Plus de 6 ans pour arbres et vignes (autres pays)

Attention : La commercialisation par un tiers sans autorisation ne détruit pas la nouveauté.

Procédures de dépôt en France et en Europe

Protection nationale française

Autorité compétente : Instance nationale des obtentions végétales (INOV) au GEVES

Procédure :

  1. Dépôt de la demande avec questionnaire technique détaillé
  2. Examen formel : vérification de la complétude du dossier
  3. Essais DHS : examen officiel de distinction, homogénéité, stabilité
  4. Examen de la dénomination variétale
  5. Délivrance du certificat ou rejet motivé

Délais indicatifs :

  • Examen formel : 2-3 mois
  • Essais DHS : 2-3 saisons de culture
  • Durée totale : 24-36 mois

Protection européenne (OCVV)

Autorité compétente : Office communautaire des variétés végétales (OCVV)

Avantages :

  • Protection unitaire sur 27 pays UE
  • Procédure unique en français, anglais ou allemand
  • Coût optimisé pour une couverture européenne

Procédure similaire au dépôt national avec examen technique externalisé

Constitution du dossier technique

Questionnaire technique :

  • Description précise de la variété
  • Caractères distinctifs mis en évidence
  • Méthode de création ou découverte
  • Comparaisons avec variétés similaires

Matériel végétal requis :

  • Quantités selon protocoles UPOV
  • Pureté variétale certifiée (>98% généralement)
  • Faculté germinative conforme aux standards
  • Conditionnement adapté au transport et stockage

Documentation complémentaire :

  • Photographies représentatives
  • Analyses biochimiques (si pertinentes)
  • Données d’essais préliminaires
  • Généalogie de sélection

Stratégies de protection internationale

Choix de la stratégie territoriale

Option 1 : protection nationale

  • Public cible : PME, variétés de niche
  • Marchés : exploitation locale/régionale
  • Coûts : investissement limité (quelques milliers d’euros)

Option 2 : protection européenne OCVV

  • Public cible : entreprises moyennes/grandes
  • Marchés : commercialisation UE
  • Avantage : une procédure = 27 pays

Option 3 : protection multi-pays

  • Public cible : leaders mondiaux
  • Stratégie : dépôts coordonnés pays par pays
  • Cibles : USA, Canada, Australie, Japon, Brésil…

Planification temporelle

Timing optimal :

  • Protection précoce : dépôt dès la stabilisation variétale
  • Priorité Union : 12 mois pour étendre internationalement
  • Coordination : planifier les dépôts selon les saisons d’essais

Gestion de portefeuille

Approche segmentée :

  • Variétés stratégiques : protection large et défense active
  • Variétés de volume : protection ciblée marchés clés
  • Variétés émergentes : protection évolutive selon développement commercial

Valorisation commerciale et contrats

Modèles économiques

Exploitation directe

  • Production et commercialisation propre
  • Marges élevées mais investissements lourds
  • Contrôle total de la chaîne de valeur

Licences d’exploitation

  • Revenus récurrents sans investissement productif
  • Multiplication des débouchés commerciaux
  • Partage des risques avec les licenciés

Structuration des contrats de licence

Modalités de rémunération typiques :

Mode de calcul Fourchettes sectorielles
Forfait d’entrée 5 000 € – 50 000 €
Redevances sur CA semences 3% – 8%
Redevances par unité 0,10 € – 1 € par kg
Minimum garanti annuel 10 000 € – 100 000 €

Clauses essentielles :

  • Territoire : définition géographique précise
  • Exclusivité : exclusive, co-exclusive ou non-exclusive
  • Performance : objectifs de commercialisation
  • Qualité : standards de production et pureté

Contrats de recherche collaborative

Partenariats R&D :

  • Partage des coûts de développement variétal
  • Échange de ressources génétiques
  • Co-titularité des innovations créées

Points de négociation :

  • Répartition des droits selon les contributions
  • Territoires d’exploitation respectifs
  • Gestion des développements parallèles
  • Confidentialité des informations échangées

Défense des droits et contentieux

Surveillance du marché

Veille concurrentielle :

  • Monitoring des nouveaux dépôts sectoriels
  • Analyse génétique des variétés suspectes
  • Contrôles terrain chez distributeurs et producteurs

Détection de contrefaçon :

  • Analyses ADN : marqueurs moléculaires spécifiques
  • Expertise morphologique : comparaison des caractères DHS
  • Traçabilité documentaire : origine des semences

Actions en contrefaçon

Conditions de l’action :

  • Titre valable : COV en vigueur et annuités payées
  • Actes de contrefaçon : production, commercialisation sans licence
  • Variété identique : preuve de l’identité variétale

Mesures disponibles :

  • Saisie-contrefaçon : conservatoire ou au fond
  • Expertise judiciaire : analyses comparatives
  • Dommages-intérêts : réparation du préjudice subi
  • Mesures d’interdiction : cessation des actes illicites

Exceptions légales

Exception de recherche :

  • Recherche fondamentale libre sur variétés protégées
  • Limite : distinction avec essais pré-commerciaux

Privilège de l’agriculteur :

  • Auto-consommation : réutilisation de sa propre récolte
  • Espèces concernées : liste européenne limitative
  • Conditions : exploitation propre, redevance éventuelle

Évolutions technologiques et réglementaires

Nouvelles techniques de sélection (NBT)

Technologies émergentes :

  • Édition génomique (CRISPR-Cas9, TALEN)
  • Mutagénèse dirigée
  • Cisgénèse et techniques apparentées

Enjeux de brevetabilité

Les nouvelles techniques génomiques (NGT) soulèvent des questions inédites sur l’articulation entre obtentions végétales et brevets. Pour décrocher son brevet, un obtenteur devra avoir « démontré un apport technique qui dépasse la simple sélection », selon Nathalie Dreyfus, conseil en propriété industrielle expert près la Cour de cassation.

Impact des NGT sur la brevetabilité :

  • Facilitation des conditions : Les NGT permettent d’identifier et reproduire rapidement des mutations naturelles
  • Description technique : Possibilité de définir scientifiquement des inventions
  • Accès aux critères : Nouveauté, activité inventive et application industrielle plus facilement réunies

Risques et opportunités

Craintes juridiquement fondées : La crainte de certains obtenteurs, qui voient les NGT comme « un cheval de Troie aux brevets », est « juridiquement fondée », indique Nathalie Dreyfus. Le risque d’augmentation des brevets et la création d’un « enchevêtrement de droits » sont réels. Cette situation peut conduire « les semenciers à négocier des licences ou à s’exposer à des contentieux en cas d’utilisation non autorisée ».

Impact économique : Ce cumul de droits « se traduirait nécessairement par une hausse des coûts de transaction, et donc, à terme, par une augmentation du prix des semences ». Pour les agriculteurs, cette hausse « ne serait pas visible directement, mais intégrée dans le prix final des semences ».

Compensation possible : Toutefois, « si les NGT apportent de véritables bénéfices agronomiques (meilleure résistance aux maladies, réduction des besoins en intrants), l’investissement supplémentaire pourrait être compensé » par un recul des coûts de production et une meilleure rentabilité des exploitations. « Tout dépendra de l’équilibre entre l’augmentation des coûts (juridiques et commerciaux) et les gains techniques et économiques permis par les variétés NGT », sans oublier ceux environnementaux.

Limites de la brevetabilité

Traits non brevetables : Les traits natifs des plantes, c’est-à-dire ceux qui existent naturellement dans une espèce ou qui résultent de processus biologiques classiques, « ne sont pas brevetables en Europe », explique Nathalie Dreyfus. Tous les traits issus de NGT-1, considérés comme des techniques de sélection conventionnelle, ne répondront pas forcément aux critères de brevetabilité.

Coexistence des systèmes

Selon Nathalie Dreyfus, les deux systèmes de propriété intellectuelle peuvent poursuivre leur coexistence après une autorisation des NGT. Cette coexistence « permet de maintenir un équilibre et de garantir une protection efficace des innovations tout en préservant la liberté de sélection des semenciers », à condition de réserver les brevets « aux traits véritablement innovants, et non à des caractéristiques naturelles ou des modifications mineures ».

Position réglementaire :

  • UPOV : éligibilité des variétés NBT si critères DHS respectés
  • UE : négociations en cours entre Conseil (favorable aux brevets) et Parlement (opposition majoritaire)
  • Enjeu : équilibre entre innovation et accès au matériel génétique

Digitalisation des procédures

Innovations technologiques :

  • Phénotypage automatisé : capteurs IoT, drones, IA
  • Bases de données génomiques : caractérisation moléculaire
  • Blockchain : traçabilité et lutte anti-contrefaçon

Perspectives d’évolution :

  • Dématérialisation des procédures administratives
  • Harmonisation des standards techniques internationaux
  • Accélération des examens par l’IA

Guide pratique étape par étape

Phase pré-dépôt (6-12 mois avant)

Check-list technique :

  • Stabilisation variétale : homogénéité > seuil espèce
  • Tests DHS préliminaires : distinction confirmée
  • Recherche d’antériorités : variétés proches identifiées
  • Multiplication de semences : stocks pour essais officiels
  • Documentation technique : questionnaire préparé

Check-list stratégique :

  • Analyse marché : potentiel commercial évalué
  • Budget protection : coûts pluriannuels provisionnés
  • Stratégie territoriale : pays prioritaires définis
  • Dénomination : nom disponible vérifié

Procédure de dépôt

Planning type (exemple céréales d’hiver) :

Période Actions
Septembre N Dépôt demande + questionnaire
Octobre N Fourniture matériel végétal essais
Avril N+1 1ère saison d’observation
Septembre N+1 Complément matériel si nécessaire
Avril N+2 2ème saison d’observation
Septembre N+2 Décision finale attendue

Post-obtention

Gestion commerciale :

  • Stratégie de commercialisation définie
  • Partenaires distributeurs identifiés
  • Contrats de licence négociés
  • Plan marketing variétal déployé

Protection des droits :

  • Surveillance marché organisée
  • Échéances annuités calendées
  • Maintien lignées pures sécurisé
  • Procédures contentieuses préparées

Questions fréquemment posées

Combien coûte une protection d’obtention végétale ?

Coûts indicatifs France (hors conseil) :

  • Dépôt initial : 500-1 000 €
  • Essais DHS : 2 000-5 000 € selon espèce
  • Annuités de maintien : 200-500 € par an
  • Total sur 25 ans : 10 000-20 000 €

Peut-on protéger une variété déjà commercialisée ?

Non, sauf si la commercialisation :

  • Remonte à moins d’1 an (France)
  • Était sans l’accord de l’obtenteur (contrefaçon)
  • Concernait uniquement des essais à petite échelle

Quelle est la différence entre obtentions végétales et brevets face aux NGT ?

Impact des nouvelles techniques génomiques :

Critère Obtention végétale Brevet (avec NGT)
Objet Variété dans son ensemble Trait spécifique breveté
Accès matériel génétique Libre pour sélection Licence nécessaire si trait breveté
Coûts Redevances COV standards Potentielle hausse des coûts de transaction
Durée 25-30 ans 20 ans
« Semences de ferme » Droit maintenu Autorisation du détenteur du brevet requise

Enjeux économiques : Les NGT pourraient créer un « enchevêtrement de droits » augmentant les coûts de transaction. Cependant, les bénéfices agronomiques (résistance aux maladies, réduction d’intrants) pourraient compenser ces surcoûts.

Comment choisir entre protection nationale et européenne ?

Protection nationale si :

  • Budget limité (< 10 000 €)
  • Marché principalement français
  • Variété de niche locale

Protection européenne si :

  • Ambition commerciale européenne
  • Budget > 15 000 €
  • Variété à fort potentiel

Que dit la réglementation européenne sur les NGT et les brevets ?

État des négociations (septembre 2025) :

  • Conseil de l’UE : favorable à la brevetabilité des traits NGT
  • Parlement européen : opposition majoritaire aux brevets
  • Présidence danoise : priorité donnée au dossier pour fin 2025
  • Vote final : prévu premier semestre 2026

Points de débat :

  • Étiquetage des NGT tout au long de la chaîne
  • Coexistence cultures NGT/conventionnelles/bio
  • Articulation brevets/certificats d’obtention végétale

Position des professionnels : « Le COV doit rester l’alpha et l’oméga du métier de l’obtenteur », selon l’Union française des semenciers, tout en gardant l’accès aux brevets pour les « réelles innovations ».


Conclusion

Les obtentions végétales constituent un levier stratégique essentiel pour les acteurs de la filière semencière. Une approche professionnelle de la protection variétale, intégrant les dimensions technique, juridique et commerciale, conditionne la compétitivité et la rentabilité des investissements R&D.

L’évolution rapide des technologies de sélection et de l’environnement réglementaire nécessite un accompagnement spécialisé pour optimiser les stratégies de protection et de valorisation.

Dans un contexte de changement climatique et de défis alimentaires mondiaux, l’innovation variétale devient plus que jamais cruciale. Les obtentions végétales offrent le cadre juridique nécessaire pour protéger et valoriser ces innovations, tout en préservant l’équilibre entre droits privatifs et intérêt général.

Avertissement : Ce guide a une valeur purement informative. Les procédures, coûts et délais mentionnés sont indicatifs et susceptibles d’évoluer. Pour toute question spécifique à vos obtentions végétales, consultez un conseil en propriété intellectuelle spécialisé.

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Ressources utiles

Liens officiels :

Documentation technique :

  • Protocoles d’examen UPOV par espèce
  • Guidelines OCVV pour demandeurs
  • Code de la propriété intellectuelle (articles L623-1 et suivants)
  • Jurisprudence en matière d’obtentions végétales

Actualités réglementaires :