Introduction

L’action en contrefaçon demeure l’outil privilégié de défense des titulaires de marques. Elle consacre l’exclusivité attachée au signe et permet de sanctionner toute appropriation illicite. Mais ce droit n’est pas absolu ; il peut s’éteindre par l’effet de la forclusion par tolérance.

Ce mécanisme, issu du droit européen et intégré dans le Code de la propriété intellectuelle, sanctionne l’inaction du titulaire qui, en connaissance de cause, laisse perdurer l’usage d’une marque postérieure pendant plus de cinq années consécutives. Le silence devient alors une véritable acceptation, entraînant l’irrecevabilité définitive de l’action en contrefaçon.

Les arrêts récents rendus par la Cour d’appel de Paris dans les affaires SWEET PANTS (11 juin 2025) et SCOTT (19 mars 2025) illustrent cette rigueur. Ils rappellent que la tolérance, volontaire ou non, peut coûter cher : la défense d’un portefeuille de marques exige une surveillance constante et une réactivité immédiate face aux atteintes.

Les fondements juridiques de la forclusion par tolérance

Définition et conditions légales

L’article L. 716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’action en contrefaçon d’une marque antérieure est irrecevable lorsque son titulaire a toléré, en connaissance de cause, pendant cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée, pour les produits ou services concernés. L’exception est réservée aux cas où la marque postérieure a été déposée de mauvaise foi.

La CJUE a précisé que quatre conditions cumulatives doivent être réunies (CJUE, 22 sept. 2011, Budvar, C-482/09) :

  1. La marque postérieure doit être enregistrée.
  2. Son dépôt doit avoir été effectué de bonne foi.
  3. Elle doit avoir fait l’objet d’un usage effectif.
  4. Le titulaire de la marque antérieure doit avoir eu connaissance de l’enregistrement et de l’usage postérieur.

conditions forclusion tolérance

Rôle de la bonne foi et présomption légale

En vertu de l’article 2274 du Code civil, la bonne foi est toujours présumée. C’est donc au titulaire de la marque antérieure de démontrer que le dépôt postérieur a été effectué de mauvaise foi.

Illustrations jurisprudentielles récentes

L’affaire SWEET PANTS : la tolérance face à une exploitation massive

Dans son arrêt du 11 juin 2025 (Canada Goose International AG c. Sweet Pants SAS), la Cour d’appel de Paris a jugé irrecevables les actions en nullité et en contrefaçon engagées plus de cinq ans après l’enregistrement d’une marque française semi-figurative SWEET PANTS.

  • Usage avéré et sérieux : la marque a été exploitée dès 2012, avec une intensité croissante à partir de 2014 (campagnes publicitaires, boutiques dédiées, présence dans des grands magasins et sur des sites e-commerce majeurs).
  • Usage sous forme modifiée : de légères variations (fond coloré, mention « since 1982 ») n’altéraient pas le caractère distinctif du signe.
  • Connaissance de l’usage : la notoriété publique, la présence médiatique et la mise en demeure adressée dès 2016 par la demanderesse démontraient que celle-ci ne pouvait ignorer l’exploitation de la marque.
  • Portée sectorielle : la forclusion a été retenue pour les vêtements mais pas pour la chapellerie, l’usage de la marque sur les casquettes n’étant pas suffisamment démontré.

Cet arrêt souligne que même un acteur international actif (ici, Canada Goose) peut être privé de recours s’il laisse s’installer un usage concurrent sur le même segment de marché.

L’affaire SCOTT : la vigilance insuffisante d’un groupe structuré

Dans son arrêt du 19 mars 2025 (Bifratex SARL c. Scott Sports SA), la Cour d’appel de Paris a confirmé l’irrecevabilité d’une action en contrefaçon introduite sur la base de la marque verbale internationale SCOTT.

  • Exploitation continue : la marque postérieure semi-figurative SCOTT était exploitée publiquement depuis l’an 2000 sur le marché des vêtements de sport, en France et en Europe.
  • Bonne foi présumée : faute de preuve contraire, le dépôt de la marque postérieure a été considéré comme loyal.
  • Usage effectif : le signe « SCOTT » constituant l’élément central et distinctif, l’usage du mot seul suffisait à caractériser l’usage de la marque semi-figurative.
  • Connaissance imputée : la demanderesse et une société sœur américaine, toutes deux responsables du portefeuille du groupe, avaient déjà engagé des actions judiciaires et administratives contre la défenderesse. Les transferts successifs de la marque au sein du groupe ne pouvaient masquer cette connaissance.

La Cour a jugé que la tolérance de plus de cinq ans, dans un contexte de concurrence frontale et de gestion intragroupe, rendait l’action irrecevable.

Conséquences pratiques pour les titulaires de marques

Les risques d’une inaction prolongée

  • Perte définitive du droit d’agir en contrefaçon ou en nullité contre la marque postérieure.
  • Affaiblissement du portefeuille et coexistence forcée avec des signes concurrents.
  • Risque de dilution du caractère distinctif de la marque.
  • Condamnation éventuelle aux dépens et frais irrépétibles.

Les stratégies pour préserver ses droits

  • Mettre en place une surveillance active des dépôts et des usages sur le marché.
  • Réagir rapidement : opposition, action en nullité, mise en demeure.
  • Négocier des accords de coexistence ou de limitation d’usage si nécessaire.
  • Sensibiliser les équipes internes afin de détecter précocement tout usage conflictuel.

Conclusion

La forclusion par tolérance est loin d’être une notion théorique : les arrêts SWEET PANTS et SCOTT démontrent la rigueur avec laquelle les juridictions françaises l’appliquent. Elle rappelle aux titulaires de marques qu’une stratégie de protection ne saurait se limiter à l’enregistrement : elle exige une surveillance continue et une réactivité immédiate face aux atteintes.

Le cabinet Dreyfus & Associés accompagne ses clients dans l’identification des fondements juridiques les plus efficaces pour protéger et défendre leurs actifs immatériels.

Le cabinet Dreyfus et Associés est en partenariat avec un réseau mondial d’avocats spécialisés en Propriété Intellectuelle

Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus

FAQ

1. Qu’est-ce que la forclusion par tolérance ?
C’est la perte du droit d’agir contre une marque postérieure lorsque son usage a été toléré pendant cinq ans, en connaissance de cause.

2. La mauvaise foi du déposant peut-elle écarter la forclusion ?
Oui, mais elle doit être prouvée par le titulaire de la marque antérieure, ce qui est rarement admis.

3. Comment la connaissance de l’usage est-elle établie ?
Par la notoriété publique, la publicité des usages, la coexistence sur les mêmes marchés ou les liens capitalistiques et procéduraux.

4. La tolérance d’une marque locale a-t-elle des effets internationaux ?
Oui, la forclusion s’applique dans chaque État membre où l’usage est établi.

5. À partir de quand court le délai de cinq ans ?
À compter de la connaissance de l’enregistrement et de l’usage effectif de la marque postérieure.