Introduction

La preuve par blockchain suscite aujourd’hui un intérêt croissant, notamment en matière de droit d’auteur, où la question de l’antériorité et de la titularité est souvent cruciale. Mais la blockchain est-elle réellement reconnue devant les tribunaux français comme mode de preuve ? Par une décision du Tribunal judiciaire de Marseille du 20 mars 2025, une juridiction française a admis qu’un horodatage blockchain puisse contribuer à prouver la titularité des droits d’auteur.

Fondements juridiques de la preuve

En droit français, le principe de la liberté de la preuve prévaut. Toutefois, dans les matières susceptibles de preuve littérale (dont les droits d’auteur), un minimum de formalisme est requis. Le Code civil, à l’article 1358, prévoit que l’écrit électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, à condition que l’auteur soit identifiable et que l’intégrité du support soit garantie.

preuve droit français

Cependant, aucun texte français ne consacre encore expressément la blockchain comme mode de preuve. C’est donc dans l’articulation entre liberté de la preuve, adaptation du droit de la preuve aux technologies et jurisprudence que le régime juridique autour de la preuve par la blockchain se construit.

La blockchain comme instrument de preuve dans le contentieux du droit d’auteur

Mécanisme technique et principe d’immutabilité

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, caractérisée par sa décentralisation, sa transparence et sa sécurité. Contrairement aux systèmes centralisés, elle fonctionne sans autorité de contrôle unique. Chaque échange est enregistré dans un registre partagé, formant une chaîne d’informations infalsifiables.

La preuve par blockchain fonctionne comme un grand registre, accessible et sécurisé, où chaque transaction est enregistrée sous forme de « blocs » liés les uns aux autres. Chaque nouveau bloc contient une empreinte unique du bloc précédent, formant ainsi une chaîne difficile à modifier. La blockchain est dupliquée en milliers de copies à travers le monde, rendant toute modification non autorisée quasiment impossible.

Pour en savoir davantage sur le fonctionnement de la preuve par blockchain, nous vous invitons à consulter notre article précédemment publié sur le sujet.

La jurisprudence du Tribunal judiciaire de Marseille du 20 mars 2025 : un tournant

En l’espèce, la société AZ FACTORY reprochait à la société Valeria Moda d’avoir commercialisé des vêtements reprenant le motif de ses créations intitulées « Hearts from Alber » et « Love from Alber ». Ces créations étaient des croquis avec une forte force évocatrices, réalisés par Alber Ebaz, créateur de mode reconnu.

La société AZ Factory avait au préalable inscrit les croquis de ces créations dans la blockchain, ancrage qui a été constaté par constat d’huissier dans le cadre de la procédure.

Dans son jugement du 20 mars 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille a reconnu que les constats d’horodatage blockchain permettaient d’établir la titularité des droits patrimoniaux d’auteur. . Le tribunal a jugé que l’enregistrement dans la blockchain, avec le constat, présentait une fiabilité suffisante pour établir la qualité d’auteur et la titularité, en combinaison avec d’autres éléments comme la diffusion sur les réseaux sociaux ou les marques apposées sur les vêtements.

Cependant, le tribunal a précisé que cette preuve par blockchain n’a pas été appréciée isolément : elle constituait un élément faisant parti d’un faisceau d’indices. Il n’est donc pas possible, selon cette décision, de considérer l’inscription blockchain comme une preuve « pure » et indépendante, ayant une force juridique importante.

Cette décision peut être qualifiée de « blockchain-friendly » : elle ouvre la porte à l’usage de cette technologie en matière de propriété intellectuelle, tout en laissant toutefois une marge d’appréciation au juge.

Perspectives doctrinales et évolutions législatives attendues

La doctrine militante et les praticiens plaident pour un encadrement législatif, afin de donner une force probante prédéterminée à certains ancrages blockchain fiables. Toutefois, le défi consiste à définir les conditions techniques (type de blockchain, audits, tiers de certification) sans rigidifier la technologie.

Conclusion

La preuve par blockchain apparaît désormais admissible devant les juridictions françaises pour établir l’antériorité et la titularité d’une œuvre protégée, sous réserve que le dispositif technique soit fiable et que le juge soit convaincu de son intégrité. Toutefois, ce mode de preuve ne se substitue pas aux autres éléments du faisceau probatoire : son efficacité dépend de la qualité de la mise en œuvre, de la complémentarité des preuves et de l’argumentation juridique.

À retenir : l’inscription blockchain est un levier de renforcement probatoire précieux mais ne constitue pas une garantie absolue.

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FAQ

1. Faut-il passer par un huissier pour utiliser la blockchain comme preuve ?
C’est fortement recommandé. L’huissier peut constater que le fichier inscrit sur la blockchain correspond bien à l’œuvre en cause et garantir l’intégrité de la procédure.

2. Quels sont les avantages principaux de la preuve blockchain ?

  • Datation certaine et infalsifiable de l’œuvre
  • Immutabilité de l’enregistrement
  • Traçabilité internationale sans dépendance à un registre national

3. Quels sont les risques ou limites de la blockchain comme preuve ?

  • Anonymat ou pseudonymat des utilisateurs, compliquant l’identification de l’auteur
  • Absence d’audit technique du protocole
  • Preuve isolée insuffisante sans éléments complémentaires
  • Complexité technique pour les juridictions peu familières avec la technologie

4. La blockchain est-elle reconnue comme preuve dans d’autres pays ?
Oui. La Chine, l’Italie et les États-Unis ont déjà reconnu la valeur probante d’un enregistrement blockchain, notamment pour la preuve d’antériorité ou de titularité en matière de droit d’auteur et de brevets. La France s’aligne progressivement sur cette tendance.

5. Peut-on recourir à la blockchain pour tous les types d’œuvres (design, logiciel, musique) ?
En théorie oui, sous réserve que le recours à la blockchain soit adapté pour constater le type d’œuvre concerné.