Sommaire
Introduction
L’affaire Rise of Kingdoms illustre une évolution notable dans la protection des droits de propriété intellectuelle en Chine. La Haute Cour populaire du Guangdong a appliqué la loi contre la concurrence déloyale pour sanctionner l’appropriation abusive de mécaniques de jeu et d’éléments créatifs.
Cette décision marque une avancée significative dans la reconnaissance de la valeur économique des créations vidéoludiques et renforce les perspectives d’indemnisation en cas d’atteinte aux droits.
Hearthstone et Minecraft : des jalons jurisprudentiels
Historiquement, les tribunaux chinois privilégiaient l’application stricte du droit d’auteur pour la protection des éléments de jeux vidéo. L’affaire Hearthstone a marqué une première inflexion dans cette approche.
Hearthstone (2014)
Le Tribunal populaire intermédiaire n°1 de Shanghai a reconnu, pour la première fois, qu’un gameplay, c’est-à-dire l’ensemble des règles et mécanismes d’un jeu vidéo, pouvait constituer une création intellectuelle spécifique, nécessitant des investissements substantiels et représentant une valeur commerciale significative.
Bien que la protection ait été partiellement accordée sur la base du droit d’auteur pour certaines illustrations et éléments visuels du jeu vidéo Hearthstone, le tribunal a estimé que le défendeur avait utilisé des caractéristiques propres à Hearthstone pour promouvoir son propre jeu. Ce comportement a dépassé les limites de l’imitation légale et a enfreint les principes de bonne foi et d’éthique commerciale énoncés dans la loi sur la concurrence déloyale.
Minecraft (2022)
Dans une affaire opposant Minecraft à Mini World, la Haute Cour du Guangdong a rejeté la protection par le droit d’auteur accordée en première instance et a appliqué le fondement de la concurrence déloyale.
Le tribunal a constaté que les deux jeux étaient quasi identiques, tant dans le gameplay que dans les éléments visuels, constituant ainsi une capture déloyale de la valeur créative et commerciale du jeu Minecraft.
Cette décision illustre un tournant jurisprudentiel : lorsque le droit d’auteur ne suffit pas à protéger les mécaniques de jeu, les tribunaux chinois s’appuient désormais sur la concurrence déloyale pour sanctionner les comportements parasitaires.
Rise of Kingdoms : l’arrêt de la Haute Cour du Guangdong
Dans l’affaire Rise of Kingdoms, la Haute Cour populaire du Guangdong a clarifié la distinction entre l’idée et son expression. La Cour a rappelé que le gameplay relève d’un ensemble d’idées, de systèmes ou de méthodes, qui demeurent exclus du champ de protection du droit d’auteur conformément à l’article 3 de la loi chinoise sur le droit d’auteur.
Les faits concernaient un cas typique de game reskinning : une pratique consistant à reprendre la structure, les mécanismes et la progression d’un jeu existant, en modifiant uniquement les graphismes ou le thème pour faire croire à une œuvre nouvelle.Le tribunal a estimé que cette imitation excessive et systématique portait atteinte à l’ordre du marché et constituait un acte de concurrence déloyale.
La Cour a condamné le développeur contrefacteur à verser 168 millions de yuans (environ 21,5 millions d’euros) de dommages-intérêts, l’une des plus fortes indemnisations jamais accordées en Chine dans le domaine du jeu vidéo.
Afin d’encadrer ce type de comportements, le tribunal a formulé un standard en trois volets pour évaluer la concurrence déloyale dans le cadre des jeux vidéo :
- Identifier la valeur commerciale et l’effort créatif du jeu original.
- Évaluer l’impact de l’imitation excessive sur l’ordre du marché.
- Examiner la violation du principe de bonne foi et d’éthique commerciale.
La bonne foi comme principe directeur
L’arrêt Rise of Kingdoms s’inscrit dans la continuité des principes définis par la Cour populaire suprême de Chine. Dans son avis du 31 décembre 2024 sur la protection de l’innovation technologique, l’article 18 rappelle que la loi contre la concurrence déloyale doit être guidée par les principes de bonne foi et d’éthique commerciale, afin de lutter contre les nouvelles formes de parasitisme et de promouvoir un marché innovant et équitable.
À mesure que les gameplays de jeux vidéo deviennent de plus en plus complexes, le droit d’auteur seul apparaît insuffisant pour protéger les investissements intellectuels des studios.
Le fondement de la concurrence déloyale vient ainsi combler ces lacunes, en offrant une protection plus souple et adaptée aux spécificités du secteur vidéoludique.
Conclusion
L’affaire Rise of Kingdoms confirme la montée en puissance de la loi contre la concurrence déloyale dans la protection des créations numériques en Chine.
Dans un secteur en constante évolution, la bonne foi devient un instrument central pour garantir un équilibre entre l’emprunt raisonnable, nécessaire à la stimulation du marché, et la protection de l’innovation originale.
Les tribunaux chinois affirment ainsi une approche pragmatique visant à préserver la compétitivité et la créativité du marché des jeux vidéo.
Le cabinet Dreyfus et Associés, fort de son expertise internationale en matière de propriété intellectuelle, accompagne ses clients dans la protection de leurs créations dans le secteur du jeu vidéo, en collaborant avec un réseau mondial d’avocats spécialisés.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus
FAQ
1. Qu’appelle-t-on le “game reskinning” ?
C’est le fait de modifier l’apparence d’un jeu existant (graphismes, personnages, sons, mise en scène) tout en conservant son fonctionnement interne (règles, objectifs, obstacles, récompenses). Cela donne l’impression d’un nouveau jeu alors qu’il repose sur les mêmes mécanismes.
2. Les règles ou mécaniques d’un jeu vidéo peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur en Chine ?
Non. Selon la Haute Cour du Guangdong, les mécaniques de jeu sont des idées, systèmes ou méthodes et ne relèvent pas du droit d’auteur. Seule la manière dont ces mécaniques sont représentées visuellement (graphismes, interface, sons…) peut être protégée.
3. Si les mécaniques de jeu ne sont pas protégées par le droit d’auteur, peut-on tout copier librement ?
Pas exactement. L’imitation des mécaniques n’est pas interdite en soi, mais elle peut devenir de la concurrence déloyale si elle dépasse ce qui est considéré comme raisonnable dans le secteur et cause un préjudice sérieux à un concurrent.
4. Pourquoi la bonne foi joue-elle un principe central ?
Parce qu’elle permet de distinguer l’inspiration légitime du parasitisme. Utiliser sans autorisation des éléments clés d’un jeu pour lancer rapidement un produit concurrent et détourner ses joueurs est contraire à la bonne foi et peut être sanctionné.
5. Quel impact pour l’industrie du jeu vidéo ?
Qu’il ne suffit plus de compter sur le seul droit d’auteur pour protéger son jeu. Les tribunaux chinois utilisent désormais aussi le droit de la concurrence déloyale pour sanctionner certaines pratiques de “reskinning” abusif et peuvent accorder des dommages-intérêts importants.