Introduction

Lorsqu’un dépôt de marque couvre une catégorie trop importante de produits ou services, et que le titulaire doit démontrer l’usage sérieux de celle-ci, la marque concernée peut être frappée de déchéance pour défaut d’usage. La décision de la Cour de cassation du 14 mai 2025 confirme une approche exigeante en ce domaine.

Cadre juridique : droit applicable et jurisprudence

L’article L. 714-5 du CPI et les directives

Selon l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire qui n’a pas fait un usage sérieux de sa marque, sans motif légitime, pendant cinq années consécutives, au plus tôt à compter de la date d’enregistrement encourt la déchéance.  Ces dispositions doivent s’interpréter en conformité avec la directive européenne 2008/95/CE.

La charge de la preuve de l’usage de la marque appartient au titulaire de la marque.

La doctrine Ferrari : précision sur les catégories générales en droit des marques

La CJUE, dans l’affaire Ferrari (C-720/18 & C-721/18), distingue deux cas :

  • Si la marque couvre une catégorie précise et indivisible, l’usage pour une partie des produits ou services de la catégorie peut suffire à rapporter la preuve de l’usage de la marque.
  • Si la catégorie est large et divisible, le titulaire doit prouver l’usage de sa marque pour chacune des sous-catégories autonomes. La CJUE explique que pour identifier une sous-catégorie autonome de produits et de services, les critères essentiels à retenir sont ceux de la finalité et de la destination des produits et services concernés. Concrètement, cela signifie qu’il faut relier l’usage prouvé de la marque aux produits ou services visés par son enregistrement.

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Le cœur de la difficulté : subdiviser une large catégorie

Lorsqu’une marque est enregistrée sous une mention englobante (ex. « transports », « cosmétiques », « produits ménagers »), le juge doit vérifier si cette catégorie peut être objectivement divisée en sous-catégories cohérentes et autonomes selon leur destination ou finalité.

Pour en savoir davantage sur l’appréciation de l’usage d’une marque déposée pour des sous-catégories autonomes, nous vous invitons à consulter notre article précédemment publié sur le sujet.

Souvent, le déposant n’indique pas de subdivisions. Le juge n’est pas lié par ce silence : il peut lui-même subdiviser la classe si cela est justifié objectivement. Le titulaire doit alors prouver l’usage sérieux pour chacune de ces divisions même si elles ne sont pas indiquées explicitement dans le libellé.

Cas d’espèce : l’arrêt du 14 mai 2025 sur le “transport / transport de voyageurs”

Faits

Dans l’affaire G7, le Groupe Rousselet détenait les marques « G-7 » et « G7 », enregistrées en classe 39 pour des services de « transport / transports de voyageurs ». Plusieurs sociétés (G7 Savoie, G7 Bourgogne, G7 tractions), actives dans le transport frigorifique de marchandises, utilisaient le signe « G7 » à titre de dénomination sociale.

Dans le cadre d’une procédure intentée par le Groupe Rousselet en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire, les sociétés G7 ont sollicité, à titre de demande reconventionnelle,  la déchéance des marques pour défaut d’usage sérieux.

La Cour d’appel ayant rejeté la demande en déchéance, les sociétés G7 se sont pourvues en cassation.

Analyse de la Cour et conséquences juridiques

La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 mai 2025, adopte une position claire et rigoureuse en matière de déchéance pour non-usage de marque.

Elle reproche à la cour d’appel d’avoir constaté un usage sérieux des marques « G7 » et « G-7 » pour les seuls services de taxi, sans vérifier si ces services constituaient une sous-catégorie autonome et cohérente au sein de la catégorie plus large de « transport » et de « transport de voyageurs ». En se référant à la jurisprudence Ferrari de la CJUE, la Cour rappelle que le juge doit, même d’office, déterminer de manière objective et non arbitraire si la catégorie de produits ou de services visée à l’enregistrement peut être divisée en sous-catégories distinctes.

Cette analyse doit être fondée sur le critère essentiel de la finalité ou de la destination des produits ou services, sans se limiter aux indications de la classification de Nice, qui ne fournit qu’un repère indicatif et purement administratif. Ainsi, les juges sont venus considérer que « les preuves récoltées de l’usage de la marque pour des services de transport de taxis ne suffisent pas à prouver l’usage de la marque pour tous les services de transport ».

Par cette décision, la Cour de cassation confirme sa volonté d’aligner le droit français sur la jurisprudence européenne, en imposant un contrôle renforcé de l’usage sérieux. Elle réaffirme que la protection conférée par la marque doit être strictement proportionnée à l’usage réellement démontré, afin d’éviter qu’un enregistrement trop large ne confère un monopole injustifié et ne restreigne indûment la liberté d’entreprendre des concurrents.

Recommandations stratégiques face à l’exigence de preuve

Pour établir l’usage sérieux d’une marque pour chacune des catégories de produits et de services pour lesquelles elle est enregistrée, il est essentiel de  produire diverses preuves.

Pour chaque sous-catégorie plausible, il est impératif de fournir une documentation spécifique, telle que des factures par type de service, des brochures, catalogues ou annonces ciblées, des rapports internes par segment, ainsi que, le cas échéant, des contrats de licence ou de maintenance, des offres de pièces détachées ou de services associés, et des éléments relatifs à la revente contrôlée ou aux services après-vente. Chaque élément doit être daté. Les preuves doivent en outre correspondre précisément aux produits et services visés par l’enregistrement.

Il peut être également judicieux, en amont, de limiter le périmètre du dépôt ou à minima de prévoir dès le départ un usage ciblé dans certaines subdivisions.

Conclusion

Lorsque la marque couvre une catégorie de produits et services large, la preuve de l’usage sérieux exige une approche ultra-rigoureuse : l’usage doit être démontré pour chaque sous-catégorie autonome définie selon la destination et la finalité. La décision de la Cour de cassation du 14 mai 2025 renforce ce standard à l’égard des titulaires de marques à large périmètre. Un conseil : ne laissez pas une preuve insuffisante vous exposer au risque de déchéance.

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FAQ

1. Qu’est-ce que l’usage sérieux d’une marque ?
C’est un usage réel, continu et non purement symbolique, destiné à maintenir ou gagner des débouchés pour les produits ou services désignés.

2. Comment limiter le risque lors du dépôt ?
Il est recommandé d’éviter les libellés excessivement généraux et de privilégier une description précise et réaliste de l’exploitation envisagée.

3. Que se passe-t-il si le titulaire ne démontre pas l’usage pour certaines sous-catégories ?
La marque encourt une déchéance partielle : la protection subsiste uniquement pour les produits ou services effectivement exploités. Cette règle empêche un monopole excessif sur des marchés inoccupés.

4. L’usage par un licencié ou une filiale est-il pris en compte à titre de preuve d’usage ?
L’usage par un licencié, un distributeur ou une filiale peut être pris en compte pour qualifier un usage sérieux de la marque, à condition qu’il intervienne avec l’accord du titulaire et que cet usage permette toujours d’identifier l’origine commerciale des produits ou services, c’est-à-dire qu’il conserve la fonction essentielle de la marque.

5. Que se passe-t-il si la marque est légèrement modifiée lors de son exploitation ?
L’usage d’une variante de la marque est admis si les modifications n’affectent pas le caractère distinctif essentiel du signe. En revanche, un changement substantiel du signe (visuel ou conceptuel) peut exclure la qualification d’usage sérieux.