Racisme : lorsque l’actualité rattrape les marques

Uncle Ben’s, Eskimo Pie, Quaker Oats… Outre le fait d’appartenir au secteur de l’alimentaire, ces marques ont un point commun : pendant longtemps, elles n’ont pas semblé poser problème et pourtant, l’actualité, le mouvement #BlackLivesMatter et l’évolution de la société a, à juste titre, fait ressortir le côté raciste de leur nom, logo ou slogan. Ces entreprises ont pris la décision de faire évoluer leur image et de modifier les marques qu’elles exploitent.

Pour faire l’objet d’un enregistrement auprès de l’INPI, une marque doit impérativement remplir une condition de licéité : elle ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. De ce fait, un dessin obscène, un insigne nazi, un slogan raciste seront évidemment déclarés irrecevables au moment de leurs examens par les services de l’INPI suite à leurs dépôts.

 

L’appréciation indépendante de la spécialité

En droit des marques, c’est le signe lui-même que l’on prend en considération. Ainsi, la licéité des produits ou services qu’elle couvre n’est pas pertinent pour évaluer la conformité à l’ordre public d’un signe. Lorsque l’on apprécie la conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs du signe, la nature du produit sur lequel la marque est apposée ou du service qu’elle désigne ne rentre pas en compte.

A l’inverse, une marque jugée raciste le demeure quelle que soit la nature des produits ou services qu’elle désigne. La marque d’emballages « Paki » aurait pu échapper à la qualification de « contraire à l’ordre public », au regard des produits qu’elle désigne. En effet, le nom de la marque n’a probablement pas vocation à revendiquer une idée raciste, puisqu’il s’agit d’un dérivé du verbe « To Pack » signifiant « emballer ». Cependant, le terme « Paki » étant également utilisé pour désigner de façon péjorative les pakistanais, l’enregistrement de cette marque aurait contrevenu au principe de respect de l’ordre public et des bonnes mœurs à cause de la référence raciste à laquelle la marque fait échos.

 

L’appréciation en fonction du public pertinent

La conformité à l’ordre public d’une marque et par extension, son caractère raciste, se déterminent par rapport à sa susceptibilité de choquer ou non le public auquel elle sera confrontée. Par « public », on entend évidemment les consommateurs ciblés mais également d’autres personnes qui, sans être concernées par lesdits produits et services, seront confrontées à ce signe de manière incidente dans leur vie quotidienne. A cet égard, la marque « Paki » refusée au Royaume-Uni, où le terme raciste y est très courant, n’aurait sans doute pas provoqué le même malaise dans un pays où cette insulte raciste n’est pas utilisée.

Cela pourrait également expliquer pourquoi des marques comme Uncle Ben’s ou Quaker Oats n’ont pas, au moment de leur enregistrement et durant des années, été considérées comme racistes. Destinées à un public majoritairement occidental et distribuées dans des pays où le racisme ordinaire a longtemps été normalisé, le public auquel elles étaient confrontées ne se retrouvait pas « choqué » par leur image.

Cette situation n’est pas sans rappeler l’affaire Banania, marque qui arborait comme slogan « Y’a bon Banania », prononcé par un tirailleur sénégalais. Le slogan, signifiant « C’est bon » dans un français approximatif, perpétrait, selon les associations de lutte contre le racisme telles que le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le stéréotype raciste et dénigrant selon lequel une personne noire n’était pas capable de parler dans un français correct.  Jusque dans les années 70, le slogan était couramment utilisé par la marque. Le 19 mai 2011, la Cour d’appel de Versailles a donné raison au MRAP en rendant une décision dans laquelle elle exigeait que Nutrimaine, société titulaire de la marque Banania, cesse la vente de tout produit portant le slogan.

Les entreprises détenant les marques Uncle Ben’s, Quaker’s Oats et Eskimo pie ont annoncé qu’elles allaient faire disparaître ou modifier leur identité visuelle qui perpétue des stéréotypes raciaux. Du côté du droit des marques, l’appréciation du caractère raciste par les offices se veut de plus en plus minutieuse.