Le constat d’achat, instrument de preuve central dans les litiges de propriété intellectuelle, a longtemps été fragilisé par l’exigence d’indépendance absolue du tiers acheteur. Dans son arrêt rendu en chambre mixte du 12 mai 2025 (n° 22-20.739), la Cour de cassation opère un revirement attendu : elle pose les bases d’une appréciation plus pragmatique, centrée sur la transparence et l’équité procédurale. Dès lors, l’absence d’indépendance ne suffit plus, à elle seule, à invalider un constat.

Le cadre juridique du constat d’achat

1.1 Un outil essentiel en matière de preuve

Le constat d’achat est une pratique probatoire incontournable dans les litiges de propriété intellectuelle. Il permet à un titulaire de droits de démontrer la commercialisation illicite d’un produit, généralement en ligne, en mandatant un huissier pour réaliser un achat et en dresser procès-verbal.

1.2 Une jurisprudence antérieure rigide

Depuis un arrêt du 25 janvier 2017 (Civ. 1re, n° 15-25.210), la Cour de cassation considérait que la seule participation d’un tiers lié au cabinet d’avocats du demandeur (stagiaire ou collaborateur) suffisait à entraîner la nullité du constat, au nom du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette position a suscité de vives critiques dans les milieux spécialisés, tant elle compliquait inutilement l’administration de la preuve.

 

Faits et déroulement de l’affaire

2.1 Une opération de constat jugée irrégulière

En 2016, la société Rimowa, titulaire de la marque « Limbo », constate la vente en ligne de contrefaçons sur un site exploitant la marque « Bill Tornade ». Pour constituer une preuve de ces actes, elle mandate un huissier afin de procéder à un constat d’achat. L’opération a lieu le 4 mai 2016, sous la supervision de l’huissier, et l’achat est réalisé par un stagiaire du cabinet d’avocats représentant Rimowa, dont le statut est mentionné dans le procès-verbal.

Estimant que la participation de ce tiers acheteur remettait en cause la neutralité de la preuve, le tribunal de commerce de Paris déclare le constat irrégulier et l’annule. La cour d’appel de Paris infirme cette décision et considère que l’indépendance imparfaite du tiers acheteur n’est pas suffisante pour entacher la régularité du constat, car il a été effectué de manière transparente et sous contrôle d’huissier. Le constat est donc jugé valable, et les sociétés HP Design et Intersod sont condamnées pour contrefaçon.

2.2 Un pourvoi formé par les défendeurs

Les sociétés condamnées forment un pourvoi en cassation, invoquant une violation du principe de loyauté de la preuve, du droit au procès équitable et de l’exigence d’indépendance du tiers acheteur.

L’apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2025

3.1 L’absence d’indépendance ne suffit plus

La chambre mixte de la Cour de cassation opère un revirement majeur. Elle considère que le seul fait que le tiers acheteur soit un stagiaire du cabinet d’avocat du demandeur ne suffit pas à entraîner la nullité du constat.

La Haute juridiction refuse ainsi une nullité de principe fondée uniquement sur le lien entre l’acheteur et la partie demanderesse. Ce qui compte désormais, c’est l’examen in concreto des circonstances.

3.2 Trois critères de validité du constat

La Cour fixe une grille d’analyse fondée sur :

  • La transparence : le lien avec la partie est indiqué dans le constat ;
  • Le contrôle effectif par l’huissier : l’opération est encadrée sans manipulation ;
  • L’absence de stratagème : il n’existe pas d’élément de dissimulation ou de mauvaise foi.

3.3 Une distinction nette avec la saisie-contrefaçon

Le constat d’achat n’est ni intrusif, ni coercitif. Il ne doit pas être soumis aux mêmes exigences que la saisie-contrefaçon, qui implique l’intervention directe dans les locaux de la partie adverse. La Cour rappelle que la directive 2004/48/CE impose des moyens de preuve proportionnés, efficaces et respectueux du contradictoire, sans rigidité excessive.

Avantage pour les titulaires de droits

Cet arrêt :

  • Redonne de la souplesse procédurale aux titulaires de droits ;
  • Réduit les risques de nullité automatique souvent invoqués en défense ;
  • Renforce la valeur probatoire des constats en ligne, notamment contre les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

 

Conclusion : vers une appréciation concrète et équitable

La Cour de cassation opère un changement de paradigme. L’absence d’indépendance du tiers acheteur ne constitue plus une cause de nullité automatique du constat d’achat. Cette position assure un équilibre entre loyauté de la preuve et efficacité des moyens probatoires, dans un esprit conforme à la directive 2004/48/CE.

En résumé, ce revirement jurisprudentiel rétablit une lecture pragmatique du droit de la preuve en matière de propriété intellectuelle.

 

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FAQ

1. Un stagiaire peut-il être tiers acheteur dans un constat d’achat ?

Oui, un stagiaire peut être désigné comme tiers acheteur, à condition que son statut soit explicitement mentionné dans le procès-verbal et qu’il agisse sous le contrôle d’un huissier.

2. Le lien avec le cabinet d’avocats doit-il être mentionné ?

Oui, il est impératif de mentionner le lien avec le cabinet d’avocats. Si ce lien n’est pas précisé, le constat pourrait être perçu comme manquant de transparence et être rejeté.

3. Comment maximiser la valeur probatoire d’un constat d’achat ?

Pour maximiser la valeur probatoire, il est essentiel d'assurer une transparence totale, de garantir un encadrement strict de l’opération par l’huissier, et de veiller à l’absence de tout stratagème ou de mauvaise foi.