Sommaire
- 1 I – L’essor des marketplaces dans l’économie numérique
- 2
- 3 II – Un terrain propice aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle
- 4 III – Les dispositifs mis en place par les marketplaces pour lutter contre la contrefaçon
- 5
- 6 IV – Un cadre européen renforcé : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA)
- 7 Conclusion
- 8 FAQ
I – L’essor des marketplaces dans l’économie numérique
- Du Web 1.0 au Web 3.0 : généalogie des plateformes
Les marketplaces sont le résultat d’une évolution technologique rapide du Web. Dans les années 1990, le Web 1.0 se caractérisait par des pages statiques à visée purement informative. Le commerce en ligne y était encore naissant, avec Amazon et eBay comme pionniers dès 1995.
Avec l’avènement du Web 2.0 dans les années 2000, l’internaute devient un acteur actif. L’échange d’informations se généralise via blogs, réseaux sociaux et avis en ligne. Ce contexte donne naissance aux marketplaces, ou place de marché, qui permet à plusieurs vendeurs de proposer simultanément leurs produits ou services via une plateforme unique, généralement dirigée par un tiers.
La marketplace se distingue d’un site e-commerce classique. Elle ne vend pas en direct, mais facilite les transactions entre vendeurs et acheteurs. Elle orchestre l’ensemble de l’expérience commerciale à travers la gestion des paiements, la visibilité, la logistique, ou encore le service client. Ce modèle connaît une expansion fulgurante, d’abord en B2C avec Amazon, Cdiscount ou Fnac, puis en B2B, avec des géants comme Alibaba, et enfin en C2C, avec des plateformes comme Vinted ou Leboncoin.
Aujourd’hui, les marketplaces sont incontournables. Selon la FEVAD, en 2024, 78% des Français ont consulté chaque mois au moins un des sites ou applications du Top 20 des marketplaces. Leur rôle est central dans la distribution mondiale des biens, et leur influence dépasse le commerce. Elles fixent désormais les standards de consommation, en termes de rapidité, d’accessibilité et de confiance.
Le Web 3.0, en cours d’émergence, s’appuie quant à lui sur la décentralisation, la blockchain et l’intelligence artificielle. Il ouvre la voie à de nouvelles formes de marketplaces, notamment dans les secteurs des NFT, du gaming ou des services numériques, où les utilisateurs deviennent eux-mêmes propriétaires ou vendeurs sans passer par un opérateur central.
- Poids économique des marketplaces
Les marketplaces sont devenues des acteurs structurants de l’économie numérique, en bouleversant les modèles de distribution traditionnels. En centralisant l’offre de multiples vendeurs sur une interface unique, elles ont fait du e-commerce un écosystème interconnecté.
Ce modèle séduit par sa souplesse : il permet aux commerçants de toucher un public large sans supporter les coûts d’une structure de vente propre. Pour les consommateurs, il garantit une diversité de choix et des conditions d’achat optimisées. Pour les plateformes, enfin, c’est un levier de croissance exponentielle, fondé sur la mutualisation technologique, logistique et marketing.
En France, ce système s’est imposé comme la norme. En 2023, le chiffre d’affaires du commerce en ligne a atteint 160 milliards d’euros, dont près de 70 % sont générés via des marketplaces. Leur poids est tel que le e-commerce représente aujourd’hui environ 11 % du commerce de détail. Et cette dynamique ne concerne pas uniquement les géants internationaux. Des enseignes traditionnelles comme La Redoute, Fnac-Darty, Boulanger ou Carrefour ont intégré des modèles hybrides, combinant offre directe et place de marché, afin d’améliorer leur compétitivité et capter de nouveaux revenus.
Les marketplaces se développent également dans le champ des services, qu’il s’agisse de prestations entre professionnels (B2B), de services aux particuliers, ou encore de plateformes spécialisées dans la logistique, l’intérim ou les solutions techniques. Ce marché s’annonce comme une nouvelle frontière du commerce numérique.
Mais ce succès n’est pas sans risques. En ouvrant massivement l’accès au commerce mondial, les marketplaces ont aussi multiplié les zones de vulnérabilité, notamment en matière de contrefaçon. Cette évolution appelle une réponse juridique et stratégique adaptée, tant pour les plateformes que pour les titulaires de droits.
II – Un terrain propice aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle
Malgré leur légitimité commerciale, les marketplaces demeurent des vecteurs privilégiés pour les infractions aux droits de propriété intellectuelle.
- Contrefaçons, usurpations et exploitation des marques
Aujourd’hui, il est possible pour n’importe qui de vendre sur une marketplace, parfois sans fournir de véritables garanties d’identité. Certains vendeurs en profitent pour imiter ou copier des marques connues : sacs à main, cosmétiques, montres ou vêtements sont souvent proposés à des prix cassés, avec des logos, des noms ou des visuels empruntés aux grandes marques.
Le groupe LVMH a signalé en 2024 une hausse de plus de 30 % des publicités frauduleuses diffusées sur les réseaux sociaux, souvent liées à des produits proposés sur des marketplaces. Ces publicités, parfois très bien réalisées, promettent des remises allant jusqu’à 80 %, surfant sur des occasions comme les soldes, pour inciter à l’achat. Une fois le clic effectué, l’internaute est redirigé vers une page qui imite un site officiel ou vers une fiche produit sur une marketplace peu regardante.
L’une des difficultés majeures tient au manque d’efficacité des signalements. Même lorsque des comptes sont fermés, d’autres, liés aux mêmes personnes, restent actifs. Ils partagent souvent un même numéro WhatsApp ou des pseudos similaires, ce qui montre la capacité des fraudeurs à contourner les règles et à se réorganiser rapidement.
Cette exploitation massive des marques sur les marketplaces ne se limite pas au luxe. Tous les secteurs sont touchés, des cosmétiques aux appareils électroniques. Et ce phénomène touche aussi bien les grandes plateformes mondiales que des sites régionaux ou spécialisés, moins bien surveillés.
- Mécanismes utilisés par les contrefacteurs
Les fraudeurs utilisent de nombreuses méthodes pour vendre des produits illégaux tout en échappant aux contrôles. La plus répandue consiste à créer des profils de vendeurs éphémères, qui apparaissent le temps d’une vente, puis disparaissent aussitôt. On parle de « ghost merchants », c’est-à-dire des vendeurs qui se présentent comme étant locaux, mais qui expédient en réalité depuis l’étranger, notamment depuis la Chine, avec des identités fictives et sans aucun contrôle KYC (Know Your Customer).
Autre technique : le dropshipping. Ici, les vendeurs ne détiennent pas de stock. Lorsqu’un client passe commande, le produit est directement envoyé depuis un fournisseur tiers, souvent peu ou pas vérifié. Ce système permet de vendre vite, à grande échelle, et sans prendre de risque. Cela complique aussi les recours des marques, qui peinent à identifier les véritables auteurs des infractions.
Certains contrefacteurs vont jusqu’à créer des sites « miroirs », qui imitent à la perfection les pages des grandes marques ou de distributeurs officiels, pour donner un sentiment de légitimité.
Enfin, le phénomène prend une dimension industrielle. Des « kits prêts à l’emploi » sont vendus sur le web et contiennent tout ce qu’il faut pour lancer une boutique de contrefaçon : charte graphique, faux avis clients, photos de produits copiées…
Ces méthodes sont d’autant plus efficaces qu’elles s’appuient sur un écosystème numérique très souple, grâce aux réseaux sociaux, messageries cryptées comme WhatsApp, et plateformes de paiement internationales. Résultat, les titulaires de droits doivent lutter contre des structures opaques, mouvantes et parfois implantées hors d’Europe, ce qui rend les actions juridiques longues et coûteuses.
III – Les dispositifs mis en place par les marketplaces pour lutter contre la contrefaçon
Face à l’ampleur des atteintes à la propriété intellectuelle sur leurs plateformes, les marketplaces ont dû réagir. Ces dernières années, elles ont mis en place des dispositifs spécifiques pour détecter, signaler et retirer les contenus illicites, notamment les annonces de produits contrefaisants.
Ces programmes, appelés IPP pour Intellectual Property Protection, visent à faciliter la collaboration entre titulaires de droits et plateformes. Parmi les plus notables figurent :
- Amazon Brand Registry,
- Alibaba IP Protection Platform,
- Shopee IP Management System,
- TikTok Shop IP Portal.
Grâce à ces systèmes, les marques peuvent enregistrer leurs titres de propriété intellectuelle dans un espace sécurisé, puis signaler directement les annonces litigieuses. Le traitement est en général rapide : certaines plateformes comme Alibaba ou Taobao peuvent supprimer une annonce en moins de 48 heures si le dossier est complet. Des outils de gestion permettent aussi aux titulaires d’agir par l’intermédiaire de mandataires autorisés, ce qui facilite la centralisation des procédures et le traitement simultané sur plusieurs sites.
Les marketplaces françaises ont également mis en place des mécanismes, quoique plus discrets, pour répondre aux exigences croissantes de lutte contre la contrefaçon. Des plateformes telles que Cdiscount, Fnac.com, Darty ou Rue du Commerce disposent chacune d’une procédure dédiée permettant aux titulaires de droits de signaler une annonce illicite. Si ces interfaces ne portent pas toujours la dénomination explicite d’« IPP », elles remplissent néanmoins des fonctions similaires : formulaire de notification, justification des droits, preuve de l’infraction alléguée, et demande de retrait. Fnac-Darty, par exemple, propose un formulaire en ligne accessible via son centre d’assistance juridique, tandis que Cdiscount dispose d’une cellule de contact pour les titulaires de droits, joignable à travers son site ou via son service juridique. Toutefois, ces dispositifs souffrent d’un manque de visibilité et de standardisation, et leur réactivité reste inégale. Une harmonisation de ces mécanismes à l’échelle nationale, voire européenne, permettrait d’en renforcer l’efficacité et de mieux soutenir les titulaires de droits, en particulier les PME souvent démunies face aux démarches en ligne.
Cependant, ces programmes ne suffisent pas à enrayer durablement la prolifération des contenus illicites. D’une part, ils reposent largement sur la vigilance proactive des titulaires de droits, qui doivent déployer des ressources humaines et techniques pour surveiller continuellement les plateformes. D’autre part, leur efficacité varie fortement selon les opérateurs.
Les grandes marketplaces bénéficient généralement d’interfaces fluides, professionnalisées, et d’un traitement rapide des signalements. À l’inverse, les plateformes de plus petite envergure proposent souvent des formulaires sommaires, parfois non traduits, avec des délais de traitement allongés, voire une inertie manifeste en cas de récidive. Certaines plateformes asiatiques ou régionales n’imposent aucun véritable processus de vérification d’identité (KYC), ce qui renforce l’impunité des contrefacteurs.
Enfin, les fraudeurs s’adaptent rapidement : suppression d’un compte, recréation immédiate, modification mineure des visuels ou des intitulés… La course-poursuite est permanente. Les dispositifs IPP, malgré leurs avancées, ne peuvent à eux seuls couvrir tous les cas.
Ces mécanismes représentent donc une avancée significative. Pour être pleinement efficaces, ils doivent être harmonisés, élargis aux plateformes émergentes et intégrés dans une stratégie globale mêlant action juridique, technique, et coopération internationale.
IV – Un cadre européen renforcé : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA)
L’Union européenne a adopté deux règlements majeurs pour encadrer les grandes plateformes numériques : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), tous deux entrés pleinement en vigueur en février 2024. Leur objectif est de renforcer la sécurité de l’espace numérique, mieux protéger les droits des utilisateurs et garantir une concurrence équitable.
Le DSA impose aux plateformes de retirer promptement les contenus manifestement illicites et introduit :
- des systèmes de signalement accessibles ;
- un droit de recours en cas de suppression abusive ;
- un rôle privilégié pour les signaleurs de confiance ;
- une transparence accrue sur la publicité ciblée et les algorithmes.
Les Very Large Online Platforms (VLOPs), telles qu’Amazon, Meta ou TikTok, sont soumises à des obligations renforcées : évaluation annuelle des risques systémiques, audits indépendants et coopération étroite avec les autorités nationales et européennes.
Le DMA, quant à lui, cible les gatekeepers, c’est-à-dire les plateformes dominantes comme Google ou Apple, en interdisant certaines pratiques anticoncurrentielles, telles que l’auto-préférence ou le verrouillage des écosystèmes numériques. Il vise à rétablir des conditions de marché équitables et à favoriser l’innovation.
En reconfigurant les responsabilités des acteurs numériques, ces deux textes placent les marketplaces face à leurs obligations en matière de lutte contre la contrefaçon, de protection des consommateurs et de respect de la concurrence. Ils instaurent une logique de transparence, de vigilance et de reddition de comptes, désormais centrale dans la régulation européenne du numérique.
Conclusion
La lutte contre la contrefaçon sur les marketplaces s’impose comme une priorité pour toute entreprise désireuse de préserver son image, son chiffre d’affaires et la confiance de ses clients. La combinaison d’outils juridiques, de systèmes internes de protection des plateformes et de stratégies adaptées à chaque canal de diffusion est la clé d’une action efficace.
Nous accompagnons quotidiennement les titulaires de droits dans la détection et la suppression de contenus illicites sur les places de marché numériques.
Le cabinet Dreyfus et Associés est en partenariat avec un réseau mondial d’avocats spécialisés en Propriété Intellectuelle.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus
FAQ
1. Quelles sont les marketplaces les plus concernées par la contrefaçon ?
Les plus exposées sont les plateformes à fort volume comme Alibaba, Amazon, AliExpress, Shopee ou Wish, en raison du nombre élevé de vendeurs tiers.
2. Peut-on agir sans déposer plainte en justice ?
Oui. La plupart des marketplaces proposent des procédures extrajudiciaires de retrait via leurs programmes IPP, sans passer par un tribunal.
3. Quels documents faut-il pour agir contre une contrefaçon sur une marketplace chinoise ?
Un titre de propriété intellectuelle en vigueur (marque, dessin, brevet), une preuve de contrefaçon, et souvent une procuration signée si l’action est menée via un agent.