Sommaire
Introduction
Lorsqu’une marque est enregistrée pour désigner des huiles essentielles, son titulaire peut, en pratique, ne pas commercialiser ces substances sous leur forme pure. Il peut s’agir de crèmes, de sprays ou encore de textiles imprégnés, tous enrichis en huiles essentielles mais sans que celles-ci soient vendues en tant que telles. Dans un tel contexte, un concurrent peut tout à fait engager une action en déchéance de la marque, considérant que l’usage déclaré ne correspond pas à la catégorie enregistrée.
Par un arrêt du 14 mai 2025, la Cour de cassation a confirmé qu’un tel usage ne saurait suffire à maintenir la protection de la marque pour la catégorie “huiles essentielles”. Cette décision revêt une portée pratique importante pour les titulaires de marques actives dans les secteurs de l’aromathérapie, de la cosmétique et du bien-être.
L’arrêt Skin’Up
La société Skin’Up était titulaire de la marque verbale « SKIN’UP », désignant des « huiles essentielles » (classe 3). En réalité, elle ne commercialisait pas d’huiles essentielles en flacons. Son activité portait essentiellement sur des brumes amincissantes, des cosméto-textiles, ainsi que d’autres produits enrichis en huiles essentielles.
La société Univers Pharmacie, titulaire de plusieurs marques « UP SKIN », a engagé une action en déchéance partielle à l’encontre de la marque « SKIN’UP », qu’elle jugeait confusément similaire à ses propres signes, sur le fondement de l’usage insuffisant de cette marque pour des produits en classe 3.
L’INPI a reconnu l’action en déchéance partiellement justifiée et a maintenu la marque « SKIN’UP » pour les « huiles essentielles » et les « cosmétiques ». La société Univers Pharmacie s’est pourvu en cassation et a posé la question suivante : la commercialisation de textiles contenant des huiles essentielles est-elle suffisante pour considérer qu’il y a eu usage sérieux de la marque pour des cosmétiques et pour des huiles essentielles ?
La Cour de cassation, dans son arrêt du 14 mai 2025, a censuré la cour d’appel et a réaffirmé une interprétation stricte de l’usage sérieux en droit des marques.
- Concernant les « cosmétiques » : La Cour rappelle que le critère essentiel de distinction entre les produits est leur finalité et leur destination (le critère de la sous-catégorie autonome). Elle a ainsi jugé que la cour d’appel aurait dû vérifier si les cosméto-textiles ne constituaient pas une sous-catégorie autonome au sein des cosmétiques. L’usage de la marque sur une sous-catégorie distincte (comme les cosméto-textiles) ne suffit pas à prouver l’usage pour les autres produits de la catégorie (comme les crèmes cosmétiques classiques).
- Concernant les « huiles essentielles » : La Cour a statué que la présence d’huiles essentielles dans la composition d’un produit (ici, des cosméto-textiles ou une brume) ne peut, par elle-même, valoir comme preuve d’usage de la marque pour les « huiles essentielles » en tant que produit autonome. La Cour a clairement distingué l’ingrédient du produit fini désigné. Commercialiser un produit contenant des huiles essentielles ne revient pas à commercialiser des huiles essentielles, de la même manière que vendre une voiture ne revient pas à vendre de l’acier.
En censurant la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation a logiquement réaffirmé le principe de spécialité, qui veut que la protection ne porte que sur les produits ou services pour lesquels la marque est réellement exploitée.
La notion d’usage
L’usage sérieux de la marque n’est pas une simple formalité, mais une obligation légale fondamentale. Le titulaire doit démontrer une exploitation effective, réelle et ininterrompue de la marque pendant une période de cinq ans après son enregistrement, sous peine d’encourir la déchéance de ses droits pour les produits ou services non exploités.
Cette exigence repose sur le principe que l’intérêt du titulaire ne saurait porter atteinte à la liberté d’entreprendre des concurrents. C’est pourquoi, la jurisprudence européenne, dont se rapproche la Cour de cassation, adopte une approche stricte, notamment en cas de libellé de marque large.
Les principes clés inspirés de la jurisprudence européenne sont les suivants :
- L’usage d’un produit appartenant à une catégorie large n’est pas suffisant pour couvrir l’ensemble de cette catégorie
- Lorsque la catégorie est suffisamment vaste, il est possible de distinguer des sous-catégories autonomes de produits, en se basant sur leur finalité et leur destination
- Si de telles sous-catégories existent, l’usage de la marque doit être prouvé pour chacune d’entre elles.
L’arrêt confirme que l’usage général ou « indirect » ne suffit pas. L’usage doit être réel, distinct et identifiable pour chaque sous-catégorie.
Concrètement :
Si vous avez désigné les produits « huiles essentielles » lors du dépôt de votre marque, mais que vous n’en vendez pas, la protection de votre marque peut être en danger.
Voici les 5 pièges fréquents en matière d’exploitation de marque :
- Déposer trop de produits ou classes sans stratégie d’exploitation claire
- Penser que l’utilisation d’un ingrédient suffit à couvrir la catégorie correspondante
- Négliger la segmentation par type de produit (ce que les juges exigent de plus en plus)
- Manquer de preuves d’usage concret en cas de litige
- Ignorer ou minimiser les actions en déchéance (ce ne sont jamais des formalités)
Pour en savoir davantage sur la notion d’usage en droit des marques, nous vous invitons à consulter notre article précédemment publié sur le sujet.
Ce que vous pouvez faire dès maintenant
Est-ce que je commercialise réellement chaque produit listé dans mon dépôt de marque ?
Si la réponse est non, voici les étapes à suivre :
- Vérifier vos classes et désignations
- Classe 3 : huiles essentielles, cosmétiques, savons…
- Classe 5 : produits pharmaceutiques, compléments…
- Classe 35 : vente de produits, marketing…
Produit par produit, demandez-vous : existe-t-il une commercialisation effective sous votre marque ?
- Rassembler des preuves d’usage
- Factures, bons de commande
- Emballages et étiquettes mentionnant la marque
- Visuels de produits
- Publications réseaux sociaux, sites e-commerce
En l’absence de preuve d’usage : risque réel de déchéance.
Conclusion
La protection d’une marque pour une catégorie de produits suppose un usage réel et direct dans cette catégorie.
Ainsi, commercialiser un produit contenant des huiles essentielles ne suffit pas à justifier l’usage sérieux de la marque pour les produits « huiles essentielles ».
Le cabinet Dreyfus et Associés, fort de son expertise internationale en matière de propriété intellectuelle, accompagne ses clients dans la protection de leurs créations dans le secteur du jeu vidéo, en collaborant avec un réseau mondial d’avocats spécialisés.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus
FAQ
1. Que risque un titulaire de marque si l’usage de sa marque est jugé insuffisant pour certaines catégories de produits lors d’une action en déchéance ?
Il risque la perte partielle (ou totale) de ses droits sur la marque pour les produits ou services non exploités. Cela signifie que des tiers pourront librement enregistrer ou utiliser des marques similaires pour ces produits, réduisant la portée de la protection initiale.
2. Qu’entend-on par « sous-catégorie autonome » de produits et pourquoi cette notion est-elle importante pour maintenir une marque ?
Une sous-catégorie autonome est un groupe de produits distincts au sein d’une catégorie plus large, identifiés par leur finalité et leur destination (par exemple pour la classe 3 désignant des produits de nettoyage et les préparations de toilette non médicamenteuses, cosmétiques, avec comme sous catégories les cosmétiques, la parfumerie, le maquillage). Si une catégorie est divisible en sous-catégories autonomes, l’usage de la marque pour une sous-catégorie ne prouve pas l’usage pour les autres. Le titulaire risque donc la déchéance pour les sous-catégories non exploitées.
3. Comment la Cour de cassation distingue-t-elle l’usage d’une marque pour une catégorie de produits de l’usage pour des sous-catégories précises ?
Elle applique le critère de la finalité et de la destination des produits. Si ces critères révèlent des usages et des marchés distincts, alors les produits forment des sous-catégories autonomes et l’usage d’une marque dans l’une ne vaut pas usage dans les autres.
4. Comment prouver que j’utilise ma marque pour une catégorie de produits ?
Pour prouver l’usage sérieux de votre marque, vous devez rassembler des preuves concrètes d’exploitation pour les produits désignés. Cela inclut notamment les factures et bons de commande, les emballages et étiquettes mentionnant la marque, les visuels de produits, ainsi que les publications sur les réseaux sociaux ou les sites e-commerce. En l’absence de telles preuves, vous vous exposez à un risque réel de déchéance.
5. Est-ce risqué de désigner trop de classes ou de produits lors du dépôt de sa marque ?
Oui. Un dépôt trop large sans stratégie peut fragiliser la marque. Il vaut mieux cibler précisément les produits déjà exploités ou que l’on prévoit d’exploiter.