Sommaire
Introduction
Dans le domaine des marques, la protection d’une marque antérieure renommée impose, lorsqu’il s’agit d’une opposition ou d’un recours, une double évaluation :
- D’une part, la question du risque de confusion au sens de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) ;
- D’autre part, l’atteinte à la renommée, telle que prévue à l’article L. 713-3 du même code.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 22 octobre 2025 dans une opposition initiée par Chanel contre une demande de marque litigieuse « COCO SHAOUA » constitue un cas d’école pour examiner comment ces deux notions sont appréciées lorsqu’une marque antérieure célèbre invoque à la fois la confusion et la dilution de sa renommée.
Nous examinons ici, de manière détaillée, la procédure, le raisonnement de la Cour, et les enseignements que les professionnels de la propriété industrielle peuvent en tirer.
La stratégie d’opposition : ce qu’il faut consolider en amont
Pour maximiser les chances de succès d’une opposition fondée sur la confusion ou la renommée, il convient :
- De documenter la renommée de la marque antérieure : études d’association, sondages, chiffre d’affaires, parts de marché ;
- De démontrer la similarité des signes (élément visuel, phonétique, conceptuel) ;
- De prouver la proximité des produits ou services ;
- De justifier l’existence d’un lien avec la marque antérieure dans le cas d’une demande de sanction pour atteinte à la renommée.
Lorsque l’un de ces éléments manque ou est affaibli, la position de l’opposant peut être fragilisée, en démontre l’arrêt du 22 octobre 2025 rendu par la cour d’appel de Versailles.
Les faits et la procédure de l’arrêt du 22 octobre 2025
La marque antérieure : « COCO »
La société Chanel est titulaire d’une marque verbale « COCO », couvrant notamment les savons, parfumerie et cosmétiques en classe 3. Cette marque bénéficie d’une notoriété importante auprès du public, en tant que référence à Chanel. Elle constitue la marque antérieure invoquée dans l’opposition.
La marque demandée : « COCO SHAOUA » en classes 3 et 4
Une demande d’enregistrement de la marque verbale « COCO SHAOUA » a été déposée pour des produits relevant des classes 3 (cosmétiques) et 4 (bougies d’éclairage). Cette demande est contestée par Chanel au motif :
- D’une part, d’un risque de confusion avec sa marque « COCO » sur la classe 3 ;
- D’autre part, d’une atteinte à la renommée de la marque « COCO » notamment pour les produits de classe 3.
L’opposition devant l’INPI et la décision du Directeur général
Chanel a formé une opposition auprès de l’INPI contre la demande « COCO SHAOUA ». Le Directeur général de l’INPI, tout en reconnaissant la renommée de la marque antérieure « COCO », a rejeté l’opposition. Il a notamment estimé que les signes en cause n’étaient pas suffisamment similaires pour créer un risque de confusion. En conséquence, il a autorisé l’enregistrement de la marque « COCO SHAOUA ».
Le recours de Chanel devant la cour d’appel
Suite au rejet de l’opposition par l’INPI, Chanel a formé un recours en annulation de cette décision devant la Cour d’appel de Versailles. La société soutenait que la marque antérieure « COCO » était très distinctive, tant du point de vue visuel, phonétique que conceptuel, et que la marque « COCO SHAOUA » créait un risque de confusion ainsi qu’une atteinte à sa renommée. La Cour a rendu son arrêt le 22 octobre 2025.
L’analyse du risque de confusion par la cour d’appel
La similarité des signes
Chanel arguait que la marque « COCO SHAOUA » incorporait la séquence « COCO » en position d’attaque, ce qui pourrait évoquer immédiatement sa marque antérieure « COCO ». Elle faisait valoir par ailleurs que la syllabe « SHA » pouvait évoquer phonétiquement « CHANEL », ajoutant un élément conceptuel de rapprochement pour le consommateur.
Toutefois, la Cour observe que l’élément « coco », employé comme nom commun (par exemple un ingrédient ou une fragrance), ne revêt pas dans l’esprit du public une fonction exclusivement distinctive pour Chanel.
La Cour relève que dans « COCO SHAOUA », l’élément « shaoua » constitue un terme fantaisiste d’égale importance que « coco », et que le signe sera perçu dans son ensemble. Elle en conclut que les différences visuelles (un mot vs deux mots), phonétiques (deux syllabes pour « COCO » vs quatre pour « COCO -SHAOUA »), et conceptuelles sont suffisantes pour écarter la similarité des signes.
La proximité des produits
La Cour reconnaît que les produits visés en classes 3 et 4 sont similaires ou sont dans le prolongement de l’univers de la marque antérieure, ce qui pourrait renforcer le risque de confusion. Toutefois, l’absence de similarité suffisante entre les signes prime, de sorte que la proximité des produits ne suffit pas à créer le risque de confusion.
Conclusion de la cour sur l’absence de risque de confusion
La Cour rejette la prétention de Chanel quant au risque de confusion : elle retient que l’opposante n’a pas démontré que le signe « COCO SHAOUA » était susceptible d’être confondu avec sa marque antérieure « COCO » dans l’esprit du consommateur pertinent.
L’analyse de l’atteinte à la renommée par la cour d’appel
Reconnaissance de la renommée de « COCO »
La Cour confirme que la marque antérieure « COCO » possède une renommée reconnue par l’INPI. Cette renommée implique un dispositif de protection autonome qui permet de sanctionner un lien de nature à créer une dilution ou un parasitisme, même sans risque de confusion.
Caractère distinctif intrinsèque limité du terme « coco »
Cependant, la Cour souligne que le terme « coco » est par nature un nom commun, polysémique (par ex. noix de coco, coco-ingrédient, etc.), ce qui limite sa distinctivité intrinsèque. En conséquence, la renommée ne permet pas de pallier entièrement cette faiblesse.
Appréciation de « COCO SHAOUA » et absence de lien intellectuel avec « COCO »
La Cour observe que le signe « COCO SHAOUA », combinant « coco » et un terme fantaisiste « shaoua », ne crée pas dans l’esprit du public un lien intellectuel avec la marque antérieure « COCO ». En l’absence de tel lien, qui est la condition de l’article L. 713-3 CPI, l’atteinte à la renommée ne peut être caractérisée.
Conclusion de la cour sur l’absence d’atteinte à la renommée
Dès lors, la Cour rejette également la prétention de Chanel au motif que ni la confusion ni la dilution de sa marque renommée ne sont établies en l’espèce.
Pour en savoir plus concernant la portée de la protection de la renommée d’une marque, nous vous invitons à consulter notre article précédemment publié.
Conclusion
L’arrêt du 22 octobre 2025 rendu par la Cour d’appel de Versailles illustre que la protection d’une marque antérieure renommée ne dispense pas d’une analyse rigoureuse de la similarité des signes et de la perception du signe demandé dans sa globalité. En l’espèce, l’absence de risque de confusion et d’atteinte à la renommée a été retenue au motif que le signe « COCO SHAOUA » se distingue suffisamment de la marque « COCO », malgré la renommée de cette dernière. Pour les titulaires de marques, cette décision constitue un appel à la vigilance et à la préparation minutieuse des dossiers d’opposition.
Le cabinet Dreyfus et Associés accompagne ses clients dans la gestion de dossiers de propriété intellectuelle complexes, en proposant des conseils personnalisés et un soutien opérationnel complet pour la protection intégrale de la propriété intellectuelle.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus
FAQ
1. Une opposition peut-elle être fondée uniquement sur l’atteinte à la renommée sans risque de confusion ?
Oui. L’article L. 713-3 CPI permet d’agir contre un signe qui porte atteinte à la renommée d’une marque antérieure, même si le risque de confusion n’est pas caractérisé, à condition que la renommée de la marque soit établie et qu’un lien dans l’esprit du public soit démontré.
2. Une marque constituée d’un prénom ou d’un surnom bénéficie-t-elle automatiquement d’une protection renforcée ?
Non. Même lorsqu’un prénom ou surnom est célèbre, il n’obtient pas automatiquement une distinctivité élevée. Les juridictions évaluent son caractère intrinsèque : un prénom courant, même associé à une personnalité, peut être considéré comme faiblement distinctif. La renommée ne transforme pas un terme du langage courant en signe fortement distinctif.
3. La présence d’un terme générique au sein d’un signe déposé empêche-t-elle toujours la reconnaissance d’un risque de confusion ?
Non. Un terme générique peut rester dominant si le reste du signe est descriptif ou secondaire. Tout dépend de l’impression d’ensemble. Ici, “shaoua” étant fantaisiste, il neutralisait l’impact distinctif du mot “coco”. Dans d’autres configurations, la jurisprudence a admis la confusion malgré la présence d’un terme usuel, lorsque l’attaque du signe restait prépondérante.
4. Quelles preuves renforcent le plus efficacement l’argument d’un lien dans l’esprit du public en cas d’atteinte à la renommée ?
Les preuves les plus convaincantes sont les études de marché récentes, les sondages d’association spontanée, les analyses statistiques d’exposition médiatique, ainsi que les démonstrations de détournement marketing probable. Les juges accordent un poids important aux données chiffrées, fiables et datées de moins de deux ans.
5. Une marque faiblement distinctive peut-elle tout de même être protégée efficacement ?
Oui, à condition de démontrer soit une utilisation intensive ayant accru la distinctivité acquise par l’usage, soit un caractère arbitraire du signe dans le marché concerné.
Cette publication est destinée à fournir des orientations générales au public et à mettre en lumière certaines problématiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer à des situations particulières ni à constituer un conseil juridique.

