Comprendre le Droit d’Auteur Français à l’Ère de l’IA : Une Analyse Critique des Derniers Développements

(*Image générée par DALL·E 3 version Microsoft)

L’émergence rapide de l’intelligence artificielle générative a eu un impact significatif sur le paysage du droit de la propriété intellectuelle. En France, les lois existantes sur le droit d’auteur ne traitent en effet pas explicitement de la manière dont elles s’appliquent aux œuvres créées par l’IA.

La loi française sur le droit d’auteur protège traditionnellement les œuvres originales, quelle que soit la forme sous laquelle elles sont exprimées. Toutefois, la loi ne fournit pas d’indications précises sur la manière d’appliquer ces principes au contenu généré par l’IA. Par conséquent, il existe une incertitude quant à la protection par le droit d’auteur des œuvres générées par l’IA.

Le 12 septembre 2023, l’Assemblée nationale a présenté une proposition de loi visant spécifiquement à clarifier les règles du droit d’auteur relatives à l’IA.

Quelles sont les principales forces et faiblesses des nouvelles dispositions de cette proposition de loi ?

 

 

Analyse de la proposition de loi du 12 septembre 2023 sur l’IA et le droit d’auteur

 

Préambule du projet de loi

Le préambule expose l’objectif de la loi, qui est de « protéger les auteurs et les artistes de la création et de l’interprétation selon un principe humaniste, en accord juridique avec le Code de la Propriété Intellectuelle« .

A titre d’exemple, le préambule cite la création de « The Next Rembrandt » de 2016, réalisée par un ordinateur et une imprimante 3D, longtemps après la disparition de l’artiste original. Notons toutefois qu’il est regrettable que le seul exemple mentionné dans le préambule soit une création datant de 2016 (créée 7 ans avant le projet de loi). En effet des exemples plus contemporains auraient été appréciés.

Aussi, par le biais de la gestion collective, cette proposition vise notamment à assurer une rémunération juste et équitable aux auteurs et artistes de la création et de l’interprétation, mais également d’assurer la traçabilité et l’identification des auteurs et artistes dont les œuvres ont été utilisées par l’IA.

 

 

Articles du projet de loi

Le projet de loi est divisé en quatre articles qui modifient des articles existants du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

 

  1. Préambule de l’article L 131-3 du CPI : Autorisation de l’intégration par l’IA d’œuvres protégées par le droit d’auteur

La première modification de l’article L 131-3 du CPI – qui traite de la cession des droits d’auteur – consiste en l’ajout d’un nouvel alinéa. Ce nouvel alinéa dispose que  » L’intégration par un logiciel d’intelligence artificielle d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur dans son système et a fortiori leur exploitation est soumise aux dispositions générales du présent code et donc à autorisation des auteurs ou ayants droit ».

 

L’ajout d’un tel alinéa à une disposition principalement axée sur les formalités de cession des droits d’auteur soulève des questions quant à son opportunité.

En outre, il convient de noter que le droit de reproduction existant peut déjà couvrir les aspects liés à l’exploitation et à l’autorisation de l’auteur.

De plus, si cette inclusion nécessite l’autorisation de l’auteur de l’œuvre originale, elle pourrait s’avérer lourde dans la pratique lorsqu’appliquée à des créations générées par l’IA. Par conséquent, la gestion collective, telle qu’elle existe en France pour les droits de reproduction par reprographie, pourrait offrir une solution plus pratique.

Enfin, cet amendement pourrait entrer en conflit avec les dispositions européennes (DIRECTIVE 2019/790 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique) et françaises (article L122-5-3 CPI) existantes concernant l’exception du Text and Data Mining.

 

  1. Ajout de neuf alinéas à l’article L 321-2 du CPI : Titularité et rôle des organisations de gestion collective pour les créations de l’IA

L’article 2 introduit neuf nouveaux alinéas à l’article L 321-2 du CPI, en ce qui concerne les actions légales et les rôles des organismes de gestion collective. Ces organismes gèrent les droits d’auteur pour le compte des titulaires de droits de manière collective.

Le premier alinéa de cet article modifié se lit comme suit  » Lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle ». Les alinéas suivants visent à faciliter la gestion collective des droits générés par l’IA et la distribution des rémunérations correspondantes par les organismes de gestion collective.

 

Une fois de plus, l’incohérence de la codification est évidente. Tout d’abord, le terme « œuvre » suggère que les produits de l’IA sont effectivement des œuvres protégées par le droit d’auteur.

La formulation « sans intervention humaine » n’est pas appropriée puisque presque toutes les œuvres impliquent au moins une certaine intervention humaine.

Enfin, cet amendement attribue la propriété de l’œuvre aux auteurs ou aux titulaires de droits des œuvres qui ont permis la création de ladite œuvre artificielle. Toutefois, le nouvel alinéa ne précise pas comment les organismes de gestion collective identifieront ces « auteurs ou titulaires de droits sur les œuvres ». Une approche possible consisterait à considérer chaque contributeur de données d’entrée utilisées dans le processus de formation de l’IA comme un co-auteur de l’œuvre résultante. Cette perspective reconnaît que chaque produit de l’IA est essentiellement un dérivé de tous ses différents intrants.

Ainsi, pour plus de clarté juridique, il pourrait être plus approprié de créer de nouveaux articles spécifiquement dédiés à la gestion collective des œuvres générées par l’IA.

 

  1. Modification de l’article L 121-2 du CPI : Transparence et Titularité

L’article 3 introduit un nouvel alinéa dans l’article L 121-2 du CPI, qui traite du droit de divulgation.

Cet alinéa dispose que « Dans le cas où une œuvre a été générée par un système d’intelligence artificielle, il est impératif d’apposer la mention : « œuvre générée par IA » ainsi que d’insérer le nom des auteurs des œuvres ayant permis d’aboutir à une telle œuvre ».

 

Cependant, il suggère, une fois de plus, que les œuvres d’IA sont protégées par le droit d’auteur puisqu’il est inclus dans un article consacré à l’un des droits exclusifs les plus importants des auteurs.

De plus, alors que ce nouvel alinéa vise à distinguer les œuvres générées par l’IA des œuvres non générées par l’IA, son insertion dans l’article dédié au droit de divulgation semble inappropriée. Aussi, la création d’un article expressément consacré à cette question apporterait plus de clarté.

Par ailleurs, l’obligation d’inclure les noms des auteurs des œuvres originales correspond davantage aux dispositions existantes en matière de droit patrimonial des auteurs, et non à leur droit de divulgation.

Il est intéressant de noter que ces références semblent correspondre à la mention obligatoire de « photographie retouchée » dans la publicité commerciale, lorsque des photographies de mannequins sont utilisées.

 

  1. Modification de l’article L 121-2 du CPI (article 4) : Le nouveau système de taxation pour les entreprises d’IA

Enfin, le projet de loi se termine par l’article 4, qui modifie l’article L 121-2 du CPI (droit de publication) où les préoccupations susmentionnées concernant la cohérence de la codification s’appliquent une fois de plus.

Ces trois alinéas introduisent un système de taxation, à verser par les sociétés d’exploitation de systèmes d’IA, aux organismes de gestion collective, lorsque l’origine d’une œuvre d’IA ne peut être déterminée.

L’article 4 fait notamment le lien avec l’article L 324-14 du CPI, qui traite des cas où l’identification des ayants droit est impossible. Dans ces situations, les montants collectés sont traités comme des fonds non distribuables, dont l’affectation semble être guidée par les politiques générales des sociétés de gestion collective. Cette proposition de loi va plus loin en convertissant ces fonds non distribuables en une taxe destinée à promouvoir les efforts créatifs. En l’état, cet alinéa semble instaurer une taxe dont la plupart des créateurs ne bénéficieront jamais.

De plus, le risque est de voir les sociétés d’IA cesser de fournir des services en France.

 

Réflexions Finales : Un équilibre délicat dans l’adaptation du droit d’auteur à l’ère de l’IA

Le projet de loi vise à adapter le droit d’auteur à l’ère de l’IA, en abordant la question de la rémunération des auteurs par le biais d’un système de gestion collective. Toutefois, il présente des lacunes notables et manque de clarté, notamment en ce qui concerne le traitement des exceptions telles que la parodie ou le pastiche. Bien qu’il constitue un pas en avant vers les réformes juridiques nécessaires, il laisse de nombreuses questions sans réponse et pourrait nécessiter des améliorations supplémentaires pour être réellement efficace.