Indonésie : quand respect de l’ordre public ne rime pas avec succès économique…

L’ordre public est un concept qui fait l’objet de diverses acceptions en fonction de la culture juridique considérée. Si en France, un nombre restreint de marques sont annulées au motif qu’elles sont en contradiction avec l’ordre public, un cas topique qui s’est déroulé en Indonésie mérite l’attention. L’entreprise Georges V Entertainment avait pour dessein de créer une franchise de bars lounge alliant luxe et divertissement. Le premier Buddha bar est né à Paris, le concept s’étant développé dans de nombreuses villes hétéroclites telles que Kiev, Washington ou Dubaï. En 2008, lorsque le groupe ouvrit une franchise à Jakarta il déposa sa marque pour des services de la classe 43 devant l’Office des marques asiatique le « Ditjen HAKI ». La pièce centrale du bar devait être surplombée d’une sculpture dorée de Buddha d’une hauteur de 15 mètres ce qui choquait particulièrement les croyants de confession bouddhiste. Le hiatus créé entre la juxtaposition d’iconographies bouddhistes et les activités du bar était jugée blasphématoire.

Dès lors, nombreux furent les bouddhistes qui crièrent haro contre l’ouverture de la franchise. Le mouvement s’étendit et mena à la création d’un site Internet fervemment opposé à l’ouverture du Buddha Bar le FABB (Forum Anti-Buddha Bar) et à des manifestations devant l’ambassade française. L’Office des Marques indonésien a annulé le 15 avril 2009 la marque Buddha Bar n° IDM00018981 qui avait été enregistrée pour les services de bar et restaurant en classe 43. Le 8 janvier 2010, le FABB porte plainte devant le Tribunal de Première Instance du Centre de Jakarta contre le licencié, le Gouverneur de Jakarta et l’Office du Tourisme de Jakarta et sollicite le paiement d’un montant de 50 000 dollars de dommages-intérêts ainsi que la fermeture du bar. Le 8 janvier 2010, le Tribunal condamne in solidum le licencié ainsi que le Gouverneur de Jakarta et l’Office du Tourisme au paiement de dommages-intérêts s’élevant à un montant de 111 000 dollars et ordonne la fermeture immédiate du bar. Le Tribunal a considéré que les défendeurs n’avaient pas respecté la loi en vigueur en matière de commerce dans le secteur de la restauration. Les régulations indonésiennes imposent que l’ouverture d’un commerce dans le secteur de la restauration ne soit pas préjudiciable au bien-être social, ce qui fut le cas en l’espèce. En effet, en dépit des manifestations extensives qui se sont déroulées dans le pays, le Gouverneur de Jakarta et l’Office du Tourisme ont délivré un permis d’exploitation au licencié le 12 novembre 2008. L’usage de l’iconographie bouddhiste fut jugée offensif par le Tribunal, l’image hédoniste du bar n’étant pas en adéquation avec les préceptes bouddhistes.

Suite à la décision rendue par le Tribunal indonésien, le groupe hôtelier renomma le bar en utilisant le nom qu’il avait à l’époque coloniale à savoir le Bataviasche Kunstkring. La décoration et le thème du bar demeurèrent intacts. La marque Buddha Bar n’a jamais été à l’origine de manifestations dans d’autres pays de la part de communautés bouddhistes. Ceci  est surprenant puisque l’Indonésie est une nation où la communauté religieuse la plus importante est musulmane, le bouddhisme étant une pratique religieuse peu répandue dans le pays. Le signe Bataviasche Kunstkring, dorénavant simple nom commercial non enregistré à titre de marque remplit la fonction de marque. Ce cas d’école prouve que l’enregistrement d’une marque ne mène pas inéluctablement au succès commercial. La marque n’aurait pas dû être délivrée en premier lieu par l’Office Indonésien qui aurait pu invoquer la contrariété avec l’ordre public, la marque Buddha Bar étant un oxymore blasphématoire pour les communautés bouddhistes. C’est d’ailleurs ce qu’a conclu quelque temps plus tard la Cour Fédérale administrative Suisse qui a refusé d’enregistrer la marque Buddha Bar dans les classes 9 et 41 sur le fondement qu’elle était susceptible de blesser les convictions religieuses des Suisses appartenant à la Communauté Bouddhiste (Décision B-438/2010).