Sommaire
Introduction
L’affaire opposant les Éditions P. Amaury, titulaires de la marque emblématique « BALLON D’OR », à la société britannique Golden Balls Ltd, demanderesse de la marque « GOLDEN BALLS », illustre avec acuité la complexité de l’appréciation du risque de confusion au sein de l’Union européenne. En confrontant deux signes distincts par leur langue mais proches sur le plan conceptuel, les différentes décisions mettent en lumière les limites de la protection conférée par une marque de renommée lorsque son caractère distinctif intrinsèque demeure faible.
L’origine du litige : confusion ou coïncidence linguistique ?
Le litige a débuté lorsque Golden Balls Ltd a cherché à enregistrer la marque verbale « GOLDEN BALLS » en tant que marque de l’Union européenne pour des produits et services partiellement identiques ou similaires à ceux protégés par la marque antérieure « BALLON D’OR ». Les Éditions P. Amaury s’y sont opposées, invoquant principalement deux motifs :
- Un risque de confusion, sanctionné par l’article 8, paragraphe 1, sous b) du Règlement sur la marque de l’Union européenne du 14 juin 2017.
- Un risque de préjudice à la renommée de leur marque, sanctionné par l’article 8, paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne.
L’arrêt du Tribunal de 2013 : la dissimilarité prédomine
Par deux jugements de 2013 (T-437/11 et T-448/11), le Tribunal de l’UE (anciennement dénommé Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes ou TPICE) a donné raison à Golden Balls Ltd, une décision qui a initialement surpris de nombreux spécialistes en propriété intellectuelle. Dans un premier temps, les juges ont conclu que les signes étaient visuellement et phonétiquement dissemblables. Les signes se différenciaient notamment par leur langue. De plus, si une similitude conceptuelle existait, elle a été jugée insuffisante pour établir un risque de confusion chez le consommateur moyen de l’UE. En conséquence, la demande d’enregistrement de GOLDEN BALLS fut provisoirement acceptée.
La correction de la CJUE en 2014 : la renommée doit être évaluée
L’éditeur français a interjeté appel. En 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt essentiel, annulant les jugements du Tribunal de l’UE de 2013. La CJUE a établi que le Tribunal avait omis d’examiner de manière adéquate le motif fondé sur le préjudice à la renommée. La Cour a statué que même un faible degré de similitude entre les signes pouvait suffire à établir un lien dans l’esprit du public pertinent, pour autant que la marque antérieure jouisse d’un degré élevé de caractère distinctif et de renommée.
À la suite de cette décision, l’affaire a connu un parcours contentieux long et complexe, jalonné de plusieurs décisions intermédiaires rendues par la division d’opposition et la chambre des recours de l’EUIPO, notamment une décision en 2016 (R 1962/2015‑1) avant le renvoi final devant le Tribunal de l’UE.
Ce dernier a finalement rendu, en 2018, un arrêt (T‑8/17) confirmant la renommée de la marque BALLON D’OR, tout en adoptant une position nuancée sur l’existence d’un lien suffisant entre les signes pour fonder une atteinte à cette renommée. En effet, il vient préciser que l’article 8, §5 du Règlement (UE) 2017/1001 protège la marque renommée seulement si le public établit un lien entre les signes et si l’usage du signe contesté risque de tirer indûment profit de la renommée ou de lui porter préjudice. La marque « GOLDEN BALLS » reste alors valable pour les classes de produits et services jugés trop éloignés du domaine sportif pour créer un risque de profit indû.
Le tournant inattendu : la déchéance partielle de la marque « BALLON D’OR » pour défaut d’usage sérieux
Quelques années plus tard, Golden Balls Ltd a initié une procédure en déchéance contre la marque « BALLON D’OR » pour défaut d’usage sérieux, sanctionné par l’article 58, paragraphe 1, sous a) du Règlement sur la marque de l’Union européenne de 2017.
Dans son arrêt de juillet 2022 (T-478/21), le Tribunal de l’UE a rendu une décision nuancée qui redéfinit l’étendue de la protection de la marque « BALLON D’OR ». Si le Tribunal considère que l’« organisation de compétitions sportives et de remises de trophées » est une preuve suffisante pour constituer un usage sérieux pour la catégorie plus large des « services de divertissement », le Tribunal a confirmé la déchéance partielle pour de nombreuses classes de produits et services (par exemple les produits d’imprimerie, films, services de télécommunication). Les preuves fournies ne démontraient pas l’usage de la marque pour chaque sous-catégorie spécifique revendiquée au cours des cinq années précédentes.
Pour en savoir davantage sur l’appréciation de l’usage sérieux de la marque pour l’ensemble des classes de produits et services pour lesquels elle est enregistrée, nous vous invitons à consulter notre article précédemment publié sur le sujet.
Démontrer l’usage sérieux d’une marque : preuves et bonnes pratiques
Pour établir l’usage sérieux d’une marque, diverses preuves peuvent être produites, telles que :
- Des factures, bons de commande, bordereaux de livraison,
- Des catalogues, brochures et emballages sur lesquels figure la marque
- Des publicités papier ou numériques
- Des captures d’écran datées et archivées des sites internet
- Des études de marché et sondages attestant de la renommée
- Des contrats ou licences conclus avec des tiers exploitant la marque.
Chaque élément doit être daté. Les preuves doivent en outre correspondre précisément aux produits et services visés par l’enregistrement, l’usage limité à une partie seulement des produits et services pouvant entraîner une déchéance partielle de la marque.
Enfin, l’usage doit être continu ou justifié en cas d’interruption. Un usage occasionnel ou symbolique est insuffisant, et les éléments produits doivent démontrer une présence effective sur le marché commercial, et non un usage purement interne.
Conclusion
La saga « Ballon d’Or » contre « Golden Balls » est un rappel essentiel pour les titulaires de marques : la renommée est un atout puissant dans un litige de marques, mais elle ne dispense pas le titulaire de l’obligation fondamentale de prouver l’usage sérieux de la marque pour l’ensemble des produits et services enregistrés. L’absence de preuve, même dans des classes apparemment secondaires, peut entraîner une révocation partielle, réduisant ainsi le champ de la protection par la marque. Il est donc recommandé de faire appel à un cabinet de conseil en propriété industrielle, en amont pour rédiger un libellé de marque adapté et spécifique à l’utilisation projetée de la marque et en aval, qui pourra évaluer les risques, identifier les éléments de preuve pertinents et accompagner la mise en place d’une stratégie d’usage solide pour préserver l’intégrité de votre droit sur votre marque.
Le cabinet Dreyfus et Associés accompagne ses clients dans la gestion de dossiers de propriété intellectuelle complexes, en proposant des conseils personnalisés et un soutien opérationnel complet pour la protection intégrale de la propriété intellectuelle.
Nathalie Dreyfus avec l’aide de toute l’équipe du cabinet Dreyfus
FAQ
1.Qu’est-ce que la déchéance pour défaut d’usage sérieux d’une marque ?
En vertu de l’article 58, §1, a) du Règlement sur la marque de l’Union européenne, une marque enregistrée peut être déchue si son titulaire ne prouve pas un usage sérieux pour les produits et services revendiqués durant une période ininterrompue de cinq ans. Cette déchéance peut être partielle si l’usage n’est démontré que pour certains produits ou services.
2.Quel est le principal enseignement de l’arrêt Ballon d’Or / Golden Balls pour les entreprises titulaires de marques de renommée ?
Le principal enseignement est de documenter méticuleusement l’usage sérieux de la marque pour chaque produit et service désigné dans l’enregistrement, en particulier au cours des cinq premières années suivant l’enregistrement, pour éviter une révocation ultérieure.
3.L’usage dans un seul État membre de l’UE peut-il sauver une marque de l’UE ?
Oui, si cet usage produit des effets sur le marché intérieur européen compte tenu du contexte économique.
4.Que se passe-t-il après une déchéance de marque pour défaut d’usage sérieux ?
Après une déchéance, la marque est réputée n’avoir jamais produit d’effets à compter de la date fixée par la décision. Elle perd rétroactivement la protection conférée par l’enregistrement pour les produits et services concernés. Le titulaire ne peut donc plus invoquer ses droits exclusifs, ni s’opposer à l’usage ou à l’enregistrement de signes similaires. La marque peut ensuite être librement enregistrée par un tiers, sous réserve de ne pas créer de risque de confusion avec d’autres droits antérieurs encore valides.
5. Quels conseils pratiques pour éviter la déchéance et maintenir la force probante d’une marque ?
Il est essentiel de :
- Surveiller activement l’exploitation de la marque et archiver les preuves d’usage (factures, publicités, publications, captures d’écran, etc.) ;
- Renouveler les campagnes de communication associées à la marque ;
- Auditer régulièrement le portefeuille pour identifier les enregistrements inactifs ;
- Limiter les dépôts aux produits et services réellement exploités afin d’éviter les vulnérabilités en cas d’attaque pour défaut d’usage.
Cette publication a pour objet de fournir des orientations générales au public et de mettre en lumière certaines problématiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer à des situations particulières ni à constituer un conseil juridique

